Docteur en archéologie de la Sapienza de Rome et de l’Université Paris Ouest (Nanterre), Giacoma Petrullo est spécialisée dans l’étude de “l’industrie osseuse”, c’est-à-dire l’étude des ossements d’animaux utilisés pour fabriquer des outils ou des objets de culte.
De passage ici, j’étudie les ossements retrouvés à Tell el-Far’ah, un site de Cisjordanie fouillé en 1946 par l’École biblique. Je m’intéresse autant à leur valeur technologique, fonctionnelle que culturelle : la façon dont ils sont fabriqués, dont ils sont utilisés et dont ils s’inscrivent dans une culture propre. Et je constate que le travail des os varie d’un groupe producteur à l’autre, et définit la singularité ces groupes.
En effet, les études en anthropologie et ethnologie montrent qu’au sein des groupes, chaque membre acquiert un savoir idéologique et pratique qui affecte ses comportements quotidiens : ce savoir acquis à la naissance et affiné avec l’expérience forge peu à peu un sentiment d’appartenance au groupe et à sa tradition culturelle.
Les choix bien particuliers adoptés par le groupe révèlent cette identité : le savoir-faire renvoie à un modèle propre dont le décodage révèle des marqueurs culturels spécifiques au groupe producteur. L’étude technologique (comment l’outil est-il réalisé ?) et fonctionnelle (quelle est sa fonction ?) des outillages permet de décomposer la chaîne opératoire de production en étapes, allant de l’acquisition de la matière première à la fabrication et à l’utilisation des objets, en identifiant et isolant des choix particuliers et répétitifs : l’identité du groupe producteur se reflète alors dans chaque étape.
Au XXe siècle, l’étude de ces objets fabriqués à partir de matières dures d’origine animale a commencé à jouer un rôle considérable. Ces matières souvent délaissées par les archéologues furent pourtant une source précieuse d’approvisionnement à plusieurs époques, car elles permirent la fabrication d’objets de valeur utilitaire ou symbolique. Ces objets s’inscrivent facilement dans les activités quotidiennes du groupe : par exemple, dans les contextes nord-africains du Néolithique, les spatules en os aidaient à la fabrication de céramique, les pointes en os à celle de récipients en cuir ou en fibre végétale ; les pendentifs en os et en dent avaient quant à eux probablement une valeur cultuelle.
Ma méthode d’analyse a donc pour but de reconstituer les procédures de fabrication et d’utilisation des objets, par l’identification des traces techniques au microscope. L’étude technologique permet de définir les actions de débitage et de façonnage : par débitage j’entends la façon de découper l’os pour obtenir un ou plusieurs supports, alors que le façonnage renvoie à la phase de mise en forme du support. Parallèlement l’étude fonctionnelle permet de définir le rôle des outils osseux au sein du groupe, de ses activités et de son organisation. Ces deux analyses reposent sur l’observation au microscope et sur l’archéologie expérimentale.
Le frère Jean-Baptiste Humbert m’a invitée à travailler à l’École biblique et archéologique dans l’idée de réexaminer avec de nouvelles méthodes ces matériaux découverts il y a maintenant 70 ans. La stratigraphie très complexe de Tell Far’ah compte des niveaux de l’ère chalcolithique, de l’âge du bronze, du fer et même de la période romaine. Lorsque l’étude des os sera terminée, il sera possible d’avoir une vision dans le temps de la production osseuse dans ce site.