Nicolas Esnault, étudiant à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, je suis diacre en vue du sacerdoce pour le diocèse de Rennes, en Bretagne. Je serai ordonné le 24 juin prochain. Après mon premier cycle de philosophie au séminaire Saint-Yves de Rennes, j’ai passé un baccalauréat canonique de théologie à l’Institut Théologique de Bruxelles. Depuis septembre dernier, mon évêque Mgr D’Ornellas m’a envoyé ici afin de rédiger un mémoire d’Écriture Sainte : l’évêque et moi sommes d’accord sur le fait que toute recherche doit partir de l’Écriture Sainte, que Vatican II a rappelé être « l’âme de la théologie ». Mon mémoire porte sur l’eschatologie, sujet pour lequel j’ai un intérêt particulier, et ici, je trouve un fondement scripturaire à ce domaine fondamental de la théologie.
Pourquoi venir faire son mémoire à l’École biblique plutôt qu’ailleurs ?
Il me semble que si l’évêque m’a envoyé ici, c’est tout d’abord pour l’École en elle-même, pour le confort de la recherche qu’offre ce cadre, l’encadrement des professeurs : la vie intellectuelle est nourrie et peut s’épanouir ; je dirai donc dans un premier temps pour sa renommée et sa compétence. Puis de par son appartenance à la Terre Sainte, qui accentue cet épanouissement de la recherche, tout en permettant un épanouissement de la vie spirituelle. Enfin et surtout, l’Esprit-Saint aussi, puisque je n’avais pas connaissance en arrivant que mon mémoire s’inscrirait dans le programme de La Bible en ses Traditions (BEST) : c’est une fois arrivé ici que j’ai rencontré Olivier-Thomas Venard, o.p. directeur de la BEST, qui est devenu mon directeur de mémoire. Mon mémoire est donc un mémoire de l’École biblique, en collaboration avec La Bible en ses Traditions.
Quel est ton sujet de mémoire, et comment l’as-tu traité ?
Mon mémoire porte sur l’Évangile de Matthieu, qui est construit en cinq discours – ce qui résonne en moi, le Jésus qui formule des discours enflammés devant le peuple est un Jésus qui me parle ! -. Le propre de l’Évangile de Matthieu est de s’inscrire dans une communauté judéo-chrétienne, ce qui m’intéresse particulièrement car cette lecture rend compte de l’unité du dessein de Dieu, entre l’Ancien et le Nouveau Testament. J’ai choisi de me pencher sur la dernière partie du dernier discours (Chapitre 25, v. 31-46). C’est un moment charnière, juste avant la Passion, et un passage que l’on ne trouve que chez Matthieu.
Il décrit le Fils de l’Homme, qui vient dans la gloire et fait face aux nations qu’il juge. Il les sépare en deux camps : à gauche les « maudits », à droite les « bénis de son Père ». Les uns, ceux qui n’ont pas pratiqué les œuvres de miséricorde, sont envoyés en Enfer ; les autres, ceux qui ont accompli ces mêmes œuvres, entrent avec Lui dans son Royaume. Dans les deux camps, une même question : « quand » avons-nous ou n’avons-nous pas agi charitablement avec toi ? La réponse du roi est la même pour tous : « ce que vous avez fait aux plus petits des frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Tout mon travail consiste ensuite à identifier ces trois groupes de personnes : le Fils, qui est à la fois roi et juge ; les jugés, c’est-à-dire les nations ; les petits des frères, rôle passif et passé, mais critère du jugement. J’essaie alors de comprendre cela d’une manière diachronique (l’évolution des faits dans le temps), ce qui se fait en trois temps. À l’heure de la chaire de Jésus, lorsqu’il a prononcé ce discours : il y avait une distinction entre la nation sainte, Israël, et les nations c’est-à-dire les païens ; au moment où Jésus prononce ce discours, il est encore perçu comme un simple rabbi parmi d’autres, avec comme cela est classique à l’époque, une communauté de disciples autour de lui ; et le terme frère semble alors désigner un membre d’une même communauté, donc ici de sa propre communauté juive. Mais entre en compte l’événement fondamental de la mort et surtout de la résurrection de Jésus, qui révèle que Jésus n’est plus un rabbi parmi d’autres, mais le Christ, le messie annoncé et attendu. S’en suit alors le deuxième temps, celui de l’époque mathéenne, c’est-à-dire des premiers chrétiens : les discours de Jésus-Christ donnent lieu alors à une première interprétation. Ses disciples, c’est-à-dire les chrétiens, se considèrent comme de vrais juifs. Cela renouvelle donc la question de l’identification : qui sont les nations et que deviennent les juifs n’étant pas les disciples du Christ ? Puis s’en suit un troisième temps qui est la lecture exégétique des Pères de l’Église. Jusqu’à saint Jean Chrysostome, les petits des frères sont perçus comme les chrétiens seulement. Il faut attendre saint Bonaventure puis saint Thomas d’Aquin pour que peu à peu les petits des frères deviennent tous les hommes, en commençant néanmoins par les chrétiens.
D’ailleurs, il est intéressant de constater que dans ce texte il n’est jamais question de foi, mais d’œuvres, alors que les Pères ont pour prisme celui de la foi. Ce passage parle de la miséricorde divine, de la gratuité du don de la vie fait à l’homme qui lui permet d’être à l’image de Dieu. Comme le dit l’Épître de Jacques, la foi s’exprime dans les œuvres et les œuvres expriment la foi, l’une et l’autre sont donc étroitement liées.
Comment ordonnes-tu ces idées dans ton mémoire ?
Travaillant en collaboration avec La Bible en ses Traditions, j’ai rédigé environ 130 notes qui portent sur le texte lui-même, sur son contexte et sur sa réception, son influence dans divers champs, de la critique textuelle à la liturgie, etc. Les notes ne sont pas toutes exploitées pour mon mémoire, mais je sais qu’elles seront utiles à d’autres recherches par la suite. Le cœur de mon travail est ce corpus sur lequel je m’appuie pour développer la suite de mon mémoire. Avant cette partie, j’ai développé une introduction expliquant mon sujet, ma problématique et la méthode très spécifique demandée par La Bible en ses Traditions. Puis dans ma dernière partie, je réponds à ma problématique en développant cette lecture diachronique de l’identification des trois groupes de personnes selon les trois temps évoqués, en renvoyant à mon corpus de notes.
Vivre à l’École biblique t’a-t-il aidé dans ta recherche ?
Oui, j’ai pu compter sur les discussions avec les frères, par exemple avec le frère Étienne Nodet, et les différents chercheurs de passages. J’ai également pu compter sur l’attention soutenue et bienveillante de mon directeur de mémoire. Par ailleurs, les réflexions du bureau de La Bible en ses Traditions m’ont aussi bien aidé, notamment les assistants étudiants ou agrégés en lettres classiques qui ont pu m’aider dans les traductions grecques. Il y a ici tellement de chercheurs que je ne resterai jamais seul avec une question.