Après des études en sciences naturelles et une thèse de doctorat en Préhistoire, Hervé Monchot s’est spécialisé en archéozoologie : il travaille sur les ossements d’animaux retrouvés en contexte archéologique. De fil en aiguille, il en vient à travailler sur des sites prestigieux plus récents comme Petra en Jordanie, Karnak en Égypte, Mes Aynak en Afghanistan ou encore Faïlaka au Koweït, dans des missions rattachées à l’IFPO et à l’UMR 81567 “Orient & Méditerranée”. Il travaille actuellement en tant que chercheur libre post-doc auprès de cette UMR et du labex RESMED (Sorbonne Université).
Quelle est votre spécialité ? Depuis combien de temps travaillez-vous à l’École biblique ?
Cela fait environ six ans que je collabore avec l’École biblique, comme responsable des collections archéofauniques retrouvées lors des fouilles menées par l’École, notamment à Samra en Jordanie, à Blakhiyah-Anthedon à Gaza sans oublier, bien-sûr, les collections provenant de la crypte du monastère de Saint Jean-Baptiste Prodromos ou du couvent Saint-Étienne à Jérusalem. Je travaille essentiellement sur les mammifères, domestiques et sauvages, et après avoir déterminé les espèces en présence, avec leurs âges et sexes au moment de l’abattage, je cherche à savoir si elles ont été consommées ou pas. En effet les restes d’animaux représentent le plus souvent les déchets alimentaires, nous renseignant ainsi sur le statut socio-économique des différentes populations.
L’analyse des ossements retrouvés lors des fouilles archéologiques au sein d’édifices religieux, comme par exemple des églises, des mosquées ou des temples ou de bâtiments à usage domestique, permet de comprendre les pratiques alimentaires spécifiques que l’on peut qualifier de rituels. En résumé, l’étude de la diète carnée permet de confirmer ou non les contextes culturels et de mieux comprendre les cadres de vie. La religion étant très importante dans cette partie du monde : les civilisations hellénistique, romaine, byzantine et islamique qui se sont succédé voire côtoyées, ont chacune développé et institué des règles alimentaires amplement décrites et bien connues, tels les tabous alimentaires – l’interdit du cochon en est l’exemple le plus criant -, les rites et techniques de boucherie, les sacrificiels etc. Mon projet de recherche actuel est vaste et ambitieux, à savoir confronter les données archéologiques aux données historiques.
Mais si je donne l’impression de travailler seul dans mon coin sur les ossements, en réalité il s’agit d’un vrai travail d’équipe sans laquelle la reconstitution du mode de vie ne serait pas possible. J’interviens généralement après la fouille, comme spécialiste, grâce aux données et au contexte fournis par les archéologues. On m’amène alors un lot d’os avec un numéro d’inventaire, et je fais ma détermination : un tibia de bœuf, un humérus de mouton, du poulet, etc. La compilation effectuée, je tente de reconstituer l’origine et l’histoire de ces ossements. Par exemple, dans les niveaux profonds de la fouille de Saint Jean-Baptiste, qui est à l’origine de ces ossements provenant d’un dépotoir : l’élite juive proche ou des militaires romains implantés à côté ? Dans la discussion qui suit, j’apporte mon expertise : il y a beaucoup de jeunes animaux, veaux et agneaux, donc coûteux et indices d’une élite. Mais il y a aussi un peu de cochon… L’assemblage des données de chacun permet une vision plus précise.
Quels sont ces ossements que vous étudiez en ce moment ?
Ces ossements proviennent des fouilles du Couvent dit de la “carrière”, ils sont d’âge byzantin (VIème siècle). Ainsi sur la table, j’ai séparé les différentes espèces : les caprinés (moutons et chèvres), le bœuf, le cochon, les équidés, le chien, le chat, les poissons et la volaille. Mais tous les ossements ne représentent pas nécessairement les restes de repas, c’est-à-dire des animaux consommés. On peut aussi retrouver des animaux morts abandonnés dans le même dépotoir ou encore des animaux, intrusifs morts in situ indépendamment des activités humaines. Ici, ce qui est le plus intéressant c’est le grand nombre de restes de cochons, indice qui souligne la dimension chrétienne du site.
Mais n’oublions pas non plus que dans une maison, on nettoie, puis on s’en va, et les ossements disparaissent sous l’action de l’eau, la météo et des phénomènes sédimentaires interviennent aussi. Ces restes représentent un échantillon, mais sont tout de même le reflet des activités humaines initiales. D’autre part l’animal n’est pas toujours mangé : dans les tombes que j’étudie à Sébaste en Samarie, on retrouve du renard, animal probablement mort quand le tombeau a été déserté. Un autre exemple : suite au tremblement de terre de 749 qui a détruit de nombreuses villes et villages au Proche-Orient, on retrouve des animaux morts in situ écrasés par des murs comme à Dharih ou à Pella.
Parfois sur les ossements je constate des traces d’activités comme des marques de couteau laissées lors de la préparation de la carcasse, là je sais que c’est de l’activité de boucherie ; un chien qui va charogner des ossements laissera aussi des traces de dents. Ceci reconstitue petit à petit l’histoire du site, et lui donne un côté vivant, c’est précisément ce que je trouve sympathique.
L’archéozoologie, est-ce un métier répandu ?
De nombreuses personnes font ce travail, même si beaucoup sont des spécialistes d’un groupe zoologique, comme les poissons ou les oiseaux, d’une région géographique ou d’une période culturelle. Mais il y a aussi un volet intéressant dont je n’ai pas parlé : on me demande de plus en plus de former des étudiants, non pas pour que chaque archéologue devienne archéozoologue, mais surtout pour que ceux-ci lors de fouilles et trouvant un ossement, sachent qu’ils doivent le garder au même titre qu’un tesson et prennent conscience de ce qu’il peut apporter dans la connaissance du site. En France, cela nous semble évident, mais dans la plupart des pays cela ne l’est pas : si les jeunes comprennent l’intérêt de mettre de côté ces ossements, ce serait une très bonne chose pour l’archéologie, même si cela reste ensuite dans des boîtes. Je suis par exemple arrivé ici 20-30 ans après les fouilles de Samra, mais heureusement que le frère Jean-Baptiste Humbert avait soigneusement tout mis de côté !