Katell Bertelot est directrice de recherche au CNRS dans un laboratoire de l’université d’Aix-Marseille. Elle a enseigné à l’École biblique en 2011 et 2013, et y séjourne fréquemment, pour échanger et profiter de la bibliothèque. Historienne du judaïsme, Katell est spécialiste de l’époque hellénistique et romaine.
Vous étiez étudiante à HEC : comment votre premier voyage en Israël a-t-il entrainé pour vous un changement d’orientation ?
Tout mon intérêt pour cette région a commencé en janvier 1993, avec ce premier voyage. Un voyage de tourisme, de découverte, je ne connaissais pas ce pays, et j’en suis tombée amoureuse. Un coup de foudre, j’ai beaucoup aimé les paysages, la lumière, les odeurs et surtout les gens. En rentrant j’ai commencé à apprendre l’hébreu moderne et l’arabe moderne, et à suivre des cours. De fil en aiguille, j’ai vraiment changé de parcours.
Vous avez ensuite étudié à Jérusalem, à l’Université hébraïque : votre découverte de l‘École biblique date-t-elle de ce moment ?
Oui, j’ai à ce moment-là suivi des cours à l’École, c’était une occasion unique de se former. Puis je suis revenue quatre ans à Jérusalem comme chercheuse, en poste au Centre de recherche français, un centre du CNRS et du Ministère des Affaires Étrangères. Pendant ces années, j’ai beaucoup utilisé la bibliothèque de l’école. C’est sans doute mon endroit préféré au monde pour travailler. Très souvent quand je viens à Jérusalem, je séjourne à l’École car je peux travailler à la bibliothèque. C’est très appréciable de pouvoir prendre les livres sur les étagères et les consulter directement. On rencontre par ailleurs beaucoup de monde, c’est l’occasion pendant les repas, de discuter avec d’autres chercheurs, avec les étudiants, c’est très riche intellectuellement et j’ajouterai spirituellement : je suis protestante, j’apprécie donc cette dimension œcuménique.
Sur quoi portent vos travaux de recherches et pourquoi venir faire de la recherche à l’École ?
J’enseigne presque exclusivement dans des facultés de théologie. La période que j’étudie correspond à la fin de la rédaction de la Bible hébraïque, ce qu’on appelle dans le christianisme l’Ancien Testament, mais c’est aussi la période de rédaction du Nouveau Testament. Je suis historienne de cette période charnière. Mais je ne m’occupe pas simplement d’histoire événementielle, j’étudie principalement l’histoire des idées ; foncièrement je cherche à connaître la culture de Jésus, son monde, les mentalités de l’époque, afin de mieux comprendre par là son enseignement. Il y a donc aussi un enjeu spirituel.
Je m’intéresse beaucoup à l’histoire de la réception des textes bibliques : je me sens proche de l’esprit du projet la Bible en ses Traditions. Travaillant sur la réception juive des textes bibliques au cours des premiers siècles, grâce aux réécritures et commentaires, par exemple dans les manuscrits de Qumrân, chez Philon d’Alexandrie ou dans la littérature rabbinique, je rejoins le projet de la BEST, plutôt par le côté juif que par le côté chrétien, car je ne travaille pas sur les pères de l’église. J’ai en tous cas de multiples centres d’intérêt communs avec les exégètes.
Durant ce séjour, je fais du dépouillement bibliographique et des lectures pour un chapitre de mon projet actuel, qui porte sur l’impact de l’idéologie impériale romaine sur la formation du judaïsme antique (project ERC Judaism and Rome) : j’essaie d’étudier l’idéologie des empires auxquels a été confronté Israël avant l’empire romain. Cela inclut plusieurs empires : assyrien, babylonien, perse, mais aussi séleucide (grec), et la bibliographie est gigantesque.
Qu’est-ce qui anime votre démarche d’historienne et de chercheuse ?
J’aime à la fois les travaux de recherche très pointus sur ma période, mais aussi parfois des questionnements beaucoup plus vastes, directement en phase avec des questionnements contemporains. Je pense qu’en tant qu’historienne et chercheuse, je me dois d’établir des ponts entre la recherche et le grand public. Peut-être est-ce parce que je travaille dans un organisme de recherche financé par les impôts des Français, ce qui pose la problématique d’utilité sociétale. Je m’interroge sur la place et le rôle de l’historien des religions aujourd’hui dans la société. Pour moi c’est un gros défi : comment faire pour que les gens se posent de nouvelles questions, pour qu’ils puissent voir les choses avec un autre regard.
Propos recueillis par Aziliz Le Roux