Lors de la Conférence du jeudi du 12 octobre 2017, l’École biblique et archéologique a accueilli Charles-Édouard Guilbert-Roed. Un sujet d’intervention passionnant : “Copier l’édicule du Saint-Sépulcre, quand pratiques religieuses et architecture se mêlent”. Le doctorant en Histoire de l’architecture étudie les copies de l’édicule, vecteurs de compréhension de l’évolution et la réception du Saint-Sépulcre dans le monde entier et depuis l’époque byzantine.
Découvrez l’interview réalisée par le Patriarcat latin à l’issue de cette conférence :
“Pourquoi avez-vous décidé de faire une recherche sur les copies de la tombe de Jésus ?
C’est tout petit que j’ai découvert une copie de l’édicule du Saint-Sépulcre au Sanctuaire de Notre-Dame du Chêne à Vion dans Sarthe, car c’est dans cette région que j’ai passé une partie de mon enfance. Mais ce n’est que des années plus tard que j’ai découvert la richesse d’un tel lieu. Étudiant à la Sorbonne en Histoire de l’art et de l’architecture, j’ai toujours été sensible au patrimoine, particulièrement religieux. Pendant cette période d’étude, j’ai eu la chance de servir pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, aussi connue pour conserver des reliques de la Passion, elles-mêmes gardées par les chevaliers de l’Ordre du Saint-Sépulcre. C’est auprès de la couronne d’épines que j’ai compris que l’étude de l’architecture des copies du Saint-Sépulcre pouvait être un vecteur de compréhension de la spiritualité de ce tombeau, de la foi, et de cet intérêt des lieux saints. Après la visite du patriarche latin de Jérusalem, Sa Béatitude Fouad Twal, à Notre-Dame de Paris en 2009, j’ai décidé de m’investir pour mieux connaitre les chrétiens de ce patriarcat. Engagé auprès des jeunes de l’Ordre du Saint-Sépulcre, il m’a été confié d’organiser les retraites spirituelles. Il m’est apparu tout naturel d’organiser ces évènements auprès de ce tombeau de Notre-Dame du Chêne que je connaissais bien. Puis, c’est après trois mois de travail auprès de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem en 2014, que j’ai décidé d’entamer une recherche sur ces copies après avoir pu mieux comprendre le tombeau tel qu’il est à Jérusalem.
Selon vous, quelle était la raison de la construction de ces copies du tombeau du Christ ?
Actuellement en doctorat d’Histoire de l’architecture, j’ai décidé en parallèle de mes recherches d’étudier l’existence d’autres copies dans le monde : peu à peu des nouvelles copies me sont apparues afin de former aujourd’hui un véritable corpus. Il existe en effet quelques recherches sur des copies, mais personne n’avait encore réalisé un corpus général sur la question. Le mystère de la Résurrection, central dans la foi, est par exemple à l’origine de démarches spirituelles qui ont mené à la construction de grottes avec une pierre ronde, ou à l’édification d’une copie de l’édicule qui protège le tombeau du Christ. A ce jour, avec le corpus et les sources, il est possible d’identifier plusieurs origines à la construction de ces copies. L’accès en pèlerinage à ce tombeau vide afin d’être témoin de la Résurrection est à l’origine de la construction de copies. Les pèlerins ne pouvant pas aller en Terre-Sainte peuvent, en effet, vivre la même démarche de foi en allant prier dans une copie de ce même tombeau. En plus de la démarche de pèlerinage, on peut également relever la question dévotionnelle, initiée particulièrement avec la création des stations du chemin de croix afin de méditer les mystères de Jésus. La liturgie est aussi au centre de la construction de ces copies, elles sont des outils pour la Semaine-Sainte et permettent de vivre comme dans les écritures du Vendredi-Saint à Pâques. Enfin, de nombreuses copies sont construites en tant que sépulture dans un cimetière public. Le modèle de l’édicule est en effet reproduit afin d’accueillir des personnes défuntes et peut-être obtenir par ce tombeau l’assurance de la résurrection.
Combien d’exemplaires y a-t-il ? À quelles périodes ont-ils été construits ? Quels sont les différents styles architecturaux ?
À ce jour, mes recherches ont permis d’identifier près de 130 copies des édicules du Saint-Sépulcre. La construction d’une copie du tombeau correspond à la reproduction architecturale à l’échelle 1 de l’édicule tel qu’il a été à Jérusalem. L’édicule y a connu quatre formes, une première byzantine, une seconde présente à partir de 1012 puis la troisième à partir de 1555, et enfin l’édicule que nous connaissons à partir de 1810. Aujourd’hui les trois premières formes ont disparu physiquement, mais par leurs copies il est possible de les retrouver grandeur nature. Ainsi ces copies sont une véritable richesse afin de connaitre la réception du tombeau mais aussi sa compréhension. Dans le corpus que j’ai présenté lors de la conférence à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem le 12 octobre dernier, les copies ont été réalisées entre le Xème et le XXème siècle. Avec presque mille ans de chronologie, ces copies ont connu des évolutions et leurs styles ont aussi évolué en fonction du lieu où elles ont été construites. De façon générale, il est possible de classer les copies en fonction de l’original voulant être copié, soit un édifice de style byzantin, roman, gothique, celui actuel et un dernier de libre interprétation de l’original que j’ai appelé “style fantaisie”.
Pourquoi certaines copies ressemblent-elles à la tombe originale quand d’autres en diffèrent ?
Cela fait partie de mes découvertes sur le sujet. De nombreuses constructions se veulent être une copie d’un édicule ayant été présent à Jérusalem. Le point commun de ces édifices est la série de colonnes qui entourent l’édifice. Celles-ci sont reproduites à chaque fois, ce qui permet de différencier l’édifice d’une simple chapelle. Les explications probables de ces différences sont certainement une connaissance partielle de l’original, des erreurs dans les échelles, mais surtout une appropriation culturelle du tombeau. Il est ainsi possible de constater que les influences stylistiques sont présentes dans ces copies afin de permettre une meilleure compréhension de celui qui la visite car cet édifice est intégré dans un environnement qui lui est familier. Enfin, il existe des copies qui ne présentent aucune similarité architecturale avec l’édicule original. Celles-ci à mon sens sont aussi très intéressantes, car elles permettent d’imaginer comment l’édicule aurait pu être construit au XVIIème ou XVIIIème siècle par exemple s’il avait fallu le reconstruire.
Qui étaient les personnes qui ont initié la construction de ces copies ?
À ce jour l’étude du corpus des copies ne permet pas de donner de conclusion définitive à cette question. D’ores et déjà, nous pouvons constater que divers groupes ont été acteurs dans l’édification de ces édicules. Les premiers sont les franciscains, gardiens de lieux saints, lesquels sont à l’origine de la création de nombreuses copies en particulier dans les Sacro-Monti. Un certain nombre de couvents franciscains possèdent même en leur sein un édicule, comme par exemple dans le couvent de la Custodie Washington qui conserve aussi une copie du tombeau de la Vierge, du dôme de l’Assomption ou de la grotte de la Nativité. Par ailleurs, il est devenu évident qu’une grande partie de ces copies a été réalisée entre la fin du XVIIème siècle et le XVIIIème; elles sont à l’initiative de capucins, branches des franciscains après le Concile de Trente, ou de jésuites. Outre ces communautés religieuses, les acteurs de la construction de copies sont d’anciens pèlerins, des évêques et des particuliers.
La plupart des copies du Saint-Sépulcre existent en Autriche et de Tchéquie. Quelles en seraient les raisons d’après vous ?
L’une de mes grandes découvertes lors de la constitution du corpus, c’est que la majorité de ces copies d’édicules a été construite pendant la Contre-Réforme dans les anciens royaumes de Bohême, d’Autriche, et sur les possessions de la famille Habsbourg. Aujourd’hui, ces copies se situent en Tchéquie, Allemagne, Autriche, Pologne, Slovaquie, Slovénie. D’autres copies ont été référencées en France, Belgique, Italie, Russie, Ukraine, Canada, États-Unis d’Amériques, Géorgie et également à Jérusalem !
Y a-t-il des copies d’autres lieux sacrés importants dans le monde ?
Il est en effet possible de créer un parallèle avec la grotte de Massabielle. Comme le tombeau du Christ, un élan de construction de répliques de cette grotte de Lourdes est visible. Après la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception en 1854, le message de Lourdes en 1858 devient un vecteur spirituel très important au XIXème siècle et encore aujourd’hui. Il est possible de voir ainsi une copie de la grotte de Lourdes au Vatican. À ce jour, s’il est encore trop tôt dans la recherche pour faire un lien déterminant sur les motivations entre les copies des grottes de Lourdes et les copies des édicules, il est cependant possible de constater qu’il s’agit de la même dynamique de reproduction d’un lieu saint. En ce qui concerne les copies du Saint-Sépulcre, on peut observer aujourd’hui encore de nouvelles réalisations. Une copie au Canada très fidèle à l’édicule actuel a été réalisée au sanctuaire Notre-Dame du Cap, grâce à l’initiative du bienheureux Fréderic Janssome, o.f.m., qui fut dix ans Vicaire Custodial et vingt-huit ans commissaire de Terre-Sainte au Canada. Avec le corpus à présent établi, il est possible de constituer un véritable réseau de copies d’édicules. Qu’ils soient situés dans des églises, des monastères ou chez des particuliers, un nombre significatif de ces édifices continue de servir pour des pèlerinages ou des liturgies de la Semaine-Sainte. Ces lieux sont de vrais témoins du mystère de la Résurrection et peuvent être un outil spirituel ou liturgique. Par ailleurs l’approfondissement de cette recherche permettra une meilleure compréhension de ce phénomène de construction, et se veut aussi être un outil pour la préservation de ces lieux. Ces tombeaux vides sont des liens forts qui permettent d’unir tous les fidèles dans le monde auprès du tombeau de Jérusalem.”
Propos recueillis par Saher Kawas.