Au total, à la date du 26 août 2017 et depuis juillet 1981, 12 445 numéros d’objets ont été donnés aux « trouvailles significatives» trouvées dans les fouilles de Samra, en Jordanie. Pour mieux comprendre le travail entrepris par les archéologues de l’École biblique, il faut avoir en tête chacune des étapes d’étude d’un tesson. Pour plus de pédagogie, racontons simplement la « vie » de l’un d’entre eux.
Trouvé. Mahmoud [1] est un bord de gobelet daté du IIIème siècle, il a été trouvé dans la Mansio, l’auberge romaine de Samra par laquelle passait la voie romaine (Via Nova). Première étape pour les fouilleurs, avant de déplacer Mahmoud, noter l’emplacement précis où il est ramassé au cœur des ruines. Une fois en main, il sera lavé, rincé, séché et mis dans un sachet de plastique qui portera sa carte d’identité. Mahmoud rejoint alors dans un carton les autres tessons provenant du même secteur que lui. Il peut dormir quinze ans sur une étagère.
Jugé. Quand l’étude commence, Mahmoud est jugé. Le sac est ouvert, on y cherche les formes identifiables (bords, fonds…) puis on rapproche les tessons ayant une pâte similaire pour vérifier les remontages possibles. Soit il est intéressant, soit il ne l’est pas. Intéressant, il est l’objet d’une deuxième décision : est-il unique ou est-il membre d’un groupe de tessons parfaitement similaires ? Selon cette deuxième décision, Mahmoud sera sélectionné. Il rejoint alors trois ou quatre autres morceaux conservés et classés dans la famille du gobelet romain du IIIème siècle.
Jugé inintéressant, il aurait rejoint une large pile de tessons sans forme caractéristique ou trop difficiles à identifier en raison de leurs tailles ou de leurs états, et mis de côté à Samra.
Lavé. Dans les locaux d’Amman. Une fois sélectionné et daté, Mahmoud est à nouveau nettoyé des restes de terre ou de calcite qui l’entourent. En cas de présence de calcite [2] , il est d’abord nécessaire de le baigner dans l’eau, puis dans un bain d’acide et enfin dans trois bains de rinçage successifs avant de le sécher. Cela peut prendre plusieurs jours. C’est là qu’intervient le véritable apport de Manon Saenko : si les morceaux similaires le permettent, Mahmoud est ensuite associé, recollé à d’autres tessons pour restituer la forme du gobelet romain du IIIème siècle, comme 1700 années plus tôt !
Dessiné & photographié. Une fois la colle sèche, c’est l’heure du shooting. Mahmoud prend la pose à trois reprises. Bien fixé aux autres morceaux du gobelet romain, il est dessiné à la main par Louis de Lisle, devenu expert d’années en années dans le dessin de poteries. Le dessin est technique, il présente les caractéristiques de l’objet. Tout est mesuré : dimensions, orientation, diamètre, courbe, décor, épaisseur… Une fois le dessin manuscrit terminé, c’est sur ordinateur que Louis reprend le travail sur Photoshop ou Illustrator. Les dessins seront plus tard mis en page sur Indesign pour être insérés dans la future publication. Enfin, le fr. Jean-Michel de Tarragon finit le travail par un beau cliché photographique, au soleil de Jordanie.
Identifié. Le fr. Jean-Baptiste décrit ensuite l’objet recollé ou le tesson solitaire. Pour le cas de Mahmoud on dira : « Couleur de la pâte : orange-rouge, intérieur et extérieur, rouge, gobelet… » . Et c’est Manon qui prendra les notes sur le clavier pour les ajouter aux nombreuses données informatiques déjà mémorisées. Cela permet aussi de rattacher l’objet à une production (locale, importée…).
Macro-photographié. Une fois les informations enregistrées, un morceau du gobelet est passé à la « Dino », un microscope USB. On casse un tout petit morceau de terre cuite dont on photographie la tranche et dont on note la matière et le numéro d’objet. On colle ce morceau minuscule sur un inventaire, afin d’analyser la texture de la pâte et sa composition : dégraissants (éléments ajoutés à l’argile pour la rendre plus résistante), type d’argile (fine, grossière…).
Rangé. Remis dans un sachet, Mahmoud retrouve le plastique et les cartons pour être rangé dans les nombreuses étagères des entrepôts de Samra, propriété du département des Antiquités de Jordanie. Les musées ne pourraient accueillir la totalité des poteries anciennes retrouvées dans tout le pays, c’est bien trop vaste et pas très intéressant à regarder pour un non spécialiste !
Publié et surtout… lu ! Plutôt que dans les musées, la gloire de Mahmoud se verra sur papier. Dans la 2ème ou 3ème publication liée aux fouilles de Samra, on trouvera son dessin, sa photo, sa datation, et l’étude de son histoire : la vaisselle du quotidien de l’auberge romaine de Samra, sur la route qui reliait alors Philadelphie et Bosra au IIIème siècle de notre ère. 1000 tessons ont vécu cette histoire depuis le tri, au cours de l’été 2017. Merci l’archéologie !