Entre Jérusalem et Vincent Lemire, c’est une histoire qui dure depuis 1995, mais qui a pris un tournant particulier cet été, puisqu’il voit son mandat de directeur de CRFJ arriver à son terme.
Il reprendra son poste de professeur à l’Université Paris-Est / Gustave Eiffel en septembre. Avant cela, il a accepté de revenir avec nous sur sa vie ici : sa découverte de ce pays, ses années étudiantes, ses réussites et ses publications, et son mandat au CRFJ.
Son premier séjour dans cette ville si particulière date de 1995. Un lien se crée, forcément, indéniable. Il reviendra pour la deuxième fois pour son Master 2 en Histoire puis pour sa thèse sur l’histoire des villes de Jaffa et de Tel Aviv. Peu à peu, à force de rencontres et de discussions, son sujet évolue, jusqu’à arriver à Jérusalem. En tant qu’élève doctorant du CRFJ avec lequel l’école biblique à un partenariat, il obtient une carte d’étudiant et plonge dans les entrailles de la bibliothèque, pour son plus grand bonheur !
« Au début de ce chapitre de ma vie je suis très intimidé, je maitrise très peu les langues, je ne sais pas comment trouver un angle d’attaque. Je suis réticent à l’idée de travailler sur Jérusalem. Cependant, mon superviseur m’encourage. Pendant les premiers mois je travaille sur les archives municipales de la ville. Je tiens à distance les archives religieuses et diplomatiques. Je travaille particulièrement sur les archives ottomanes, extrêmement difficiles à localiser mais très riches. »
Petit à petit, au grès de ses découvertes, Vincent réalise à quel point l’eau potable est un enjeu primordial pour la ville. En fait, depuis toujours la gestion de l’eau est un sujet incontournable, comme en atteste les réseaux et les infrastructures hydrauliques mises en place depuis l’antiquité. Il publiera sa thèse en histoire environnemental en 2010 aux éditions de La Sorbonne « La soif de Jérusalem. Essai d’hydro-histoire (1860-1940) ».
Faite d’allers-retours entre Jérusalem et Paris, sa vie prend un nouveau tournant en 2012, lorsqu’il devient chercheur affecté au CRFJ, pour deux ans.
Quand on lui demande comment il se sent par rapport à Jérusalem, l’historien a une réponse plutôt surprenante : « Je n’ai pas d’attache personnelle ou familiale à Jérusalem. Initialement je n’y ressentais même pas d’affinité particulière. J’ai un rapport ambivalent avec cette ville. Si les occasions de venir ici ne se présentent pas, je ne les recherche pas forcément.
Cependant, j’y reviens toujours parce que, intellectuellement, ce terrain de recherche me fascine, le niveau de jeu y est extrêmement élevé. C’est pour moi un véritable défi méthodologique, un challenge intense. Je ressens le besoin d’être sollicité par ce terrain si difficile d’approche.
J’en saisis les effets lorsque je rentre en France, après une mission, et que je ressens une sensation d’aisance déconcertante, un peu comme un coureur qui vient de faire un marathon à 2000 mètres d’altitude et qui redescend à une altitude normale. Jérusalem c’est le terrain d’entrainement le plus éprouvant que je connaisse.
Je pense avoir développé ici de nombreuses capacités d’intuition, c’est ce qui me fait revenir à chaque fois. En fait, j’aime cet environnement car il m’oblige à sortir de ma zone de confort. »
Les rapports de confiance qu’il créera ici, comme celui avec les frères de l’Ecole Biblique, lui permettront d’évoluer d’un travail solitaire à un travail collectif, afin de toujours amplifier l’approche globale de ses recherches.
Quand vient l’heure du bilan, et de ce que l’on pourrait appeler ses « plus grandes fiertés », Vincent cite deux choses : les évolutions logistiques et matérielles qu’il a menées en tant que directeur du CRFJ pour permettre un meilleur accueil et une meilleure qualité de vie à tous les étudiants : « Je me suis inspiré de l’EBAF pour mettre les étudiants au cœur de la vie de l’institution. Malgré les nombreuses embuches, je suis fier d’avoir mené à bien ce projet. »
Sa seconde réussite concerne son travail autour du Quartier Maghrébin.
Travail qui démarre en partie dans les murs des dominicains, puisque c’est avec le frère Jean-Michel de Tarragon qu’il découvre sur certaines photos un quartier dont il ignore tout et dont on parle rarement, alors qu’il est situé juste devant le Mur des Lamentations et l’Esplanade des mosquées.
Face à cet immense « trou de mémoire », il lance l’enquête et réussi à récolter des témoignages de personnes qui vivaient dans le quartier et qui en ont été expulsés en 1967, afin d’agrandir l’esplanade de prière au pied du Kotel. « Je découvre alors que l’oblitération liée à l’histoire de ce quartier est vertigineuse. Je plonge dans une enquête à travers le monde, car les archives de ce quartier sont dispersées partout : Rabat, Alger, Genève, Istanbul … ».
Il publiera son livre « Au pied du Mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967) » en 2022, livre republié cette année en anglais par l’université de Stanford, et en cours de traduction en hébreu et en arabe. Pour illustrer son travail, il développe une application 3D, qui reconstruit l’ensemble du quartier maghrébin et permet de s’y promener comme si l’on y était ! « Via cette application 3D, mais aussi via la bande dessinée « Histoire de Jérusalem », j’expérimente une des composantes du métier d’enseignant chercheur, celle de restituer l’histoire auprès d’un large public, à travers différents canaux. »
Aujourd’hui, son mandat de directeur prend fin, voici venu le temps du retour à la vie universitaire comme professeur d’histoire à l’université : « Je suis heureux de retourner à Paris-Est / Gustave Eiffel.
Il faut savoir donner de l’énergie aux institutions qui nous ont formé, essayer de rendre un petit peu la richesse de ce que l’on a reçu.
C’est dans cette université que j’ai fait mes premiers pas comme vacataire en 2004 puis comme maître de conférence en 2008, avec une équipe soudée, jeune et ouverte. C’est une très bonne piste d’atterrissage. C’est aussi un retour sur terre, après ces années intenses passées à Jérusalem ».