Christian Heck est un ancien professeur d’histoire de l’Art à l’université de Lille-III et aujourd’hui membre senior de l’Institut Universitaire de France et titulaire de la chair d’iconographie médiévale. Au fil de ses recherches, il a tissé des liens avec l’École Biblique.
Suite au décès de l’artiste Pierre Soulages, avec lequel il avait étroitement travaillé, l’École a souhaité le faire intervenir afin de nous présenter son travail de recherche sur ce peintre qui aura bouleversé le monde de l’art.
Christian, pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur votre parcours ?
Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi, à l’université, les études d’histoire de l’art et d’archéologie. L’histoire de l’art, dont la meilleure définition serait « l’apprentissage du regard », n’a pu que nourrir la rencontre, dans le parcours d’une vie, avec les créations humaines de toutes civilisations et de toutes périodes. Par ailleurs, j’eu la chance, comme spécialiste de l’art médiéval occidental, de travailler à la fois dans le monde des musées, ayant passé dix ans comme conservateur en chef du Musée d’Unterlinden à Colmar (avec entre autres l’exceptionnel Retable d’Issenheim, de Grünewald), et dans le monde universitaire, ayant été professeur successivement aux universités de Strasbourg puis de Lille, avant de terminer avec une chaire d’iconographie médiévale, comme Membre senior de l’Institut Universitaire de France.
Quel est votre lien avec l’École Biblique ?
Un séjour de quelques jours pour un colloque universitaire à Jérusalem il y’a quelques années m’a permis de connaître l’EBAF, et le projet superbe de la BEST. Rapidement, j’ai pu proposer à ses responsables de contribuer au volet Histoire de l’art.
Par ailleurs, pour un travail en iconographie médiévale, il est évident que tout travail concernant le texte biblique est un apport essentiel.
Le livre que je publie cet automne sur l’iconographie du retable de l’Annonciation d’Aix-en-Provence (peint par Barthélémy d’Eyck en 1443-1444), est totalement nourri d’un travail à travers l’exégèse biblique des Pères de l’Eglise et des théologiens du Moyen Âge.
Que représente le peintre Pierre Soulages pour vous ?
Quarante années d’une relation profondément intime, commencée lorsque j’ai organisé une exposition de ses peintures au musée de Colmar. De rencontres en entretiens, Soulages a été profondément heureux des textes que j’ai commencé à écrire sur sa peinture, et il m’a proposé, par la suite, de suivre le travail qu’il a mené pendant plusieurs années pour réaliser les vitraux de Conques, inaugurés en 1994. Il n’est pas nécessaire de rappeler la place de ses créations dans l’art du XXe et du début du XXIe siècle.
Lorsque l’École Biblique m’a proposé d’intervenir dans le cadre des conférences du Jeudi, j’ai proposé ce thème, en résonance avec une nouvelle recherche que j’ai menée sur ces vitraux et le lien avec la peinture de Soulages, depuis 2019, à la demande de Pierre et Colette Soulages, recherche qui a pris la forme finale d’un livre qui va paraître à la fin d’octobre 2023.
La conférence n’a pas pu être enregistrée, afin de garder l’exclusivité pour la sortie de votre livre.
Mais alors, pouvez-vous nous dire quelques mots sur ces vitraux et le formidable travail réalisé à Conques ?
A Conques, les vitraux de Soulages ne se servent pas de la lumière ; ils la servent. Je voudrais citer trois paroles de Soulages à propos de cette création.
« C’est ce qui m’a fortement impressionné dans cette aventure : créer pour un tel lieu une matière qui marque l’écoulement du temps est une rencontre qui a un sens profond et qui a beaucoup compté dans la suite de mon travail ».
Ailleurs : « On ne se rend pas compte à quel point tout ce que je fais est lié aux vitraux que j’ai réalisés à Conques, c’est-à-dire à la lumière ».
Et enfin : « la lumière diffuse que je souhaitais […] une lumière prise dans le verre même […] Cette lumière « transmutée » a la qualité émotionnelle, l’intériorité que je recherchais, qualité métaphysique en accord avec le caractère sacré de cette architecture ».
Par sa pratique, dans une quête à l’écoute de régions intérieures « secrètes et essentielles », Soulages fait sourdre, du noir des tableaux, du blanc de la masse du verre des baies de Conques, une lumière transfigurée, qui nous invite à entrer dans l’espace qui s’y déploie, et à nous laisser toucher par la réalité des formes, à vivre une expérience de la lumière intérieure.