Vendredi 6 mars dernier, l’École biblique était à l’honneur à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : le colloque « Le goût de l’Orient » rassemblait des membres des deux institutions à l’Institut de France pour célébrer le centenaire de la reconnaissance de l’EBAF comme École archéologique française. Parmi les orientalistes précédents, six anciens boursiers de l’AIBL venus témoigner de leur(s) année(s) académique(s) passées à l’EBAF. Retrouvez dans ce troisième article le discours de Monsieur Philippe Abrahami, Professeur d’histoire et d’archéologie du Proche-Orient ancien à l’Université de Lille.
Discours de M. Philippe Abrahami
Mon séjour de recherche à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem remonte à l’année universitaire 1993-1994. J’étais alors en quatrième année de thèse sous la direction de Dominique Charpin, mon sujet de doctorat portant sur l’organisation militaire du royaume de Mari d’après les archives cunéiformes datant du 18ème s. av. n. è. A cette époque, je réalisai mes recherches au sein de l’UPR 193 du CNRS « Mari et le Proche-Orient cunéiforme » dirigée par Jean-Marie Durand. J’avais rassemblé la très grande partie de la documentation constituée essentiellement de lettres adressées aux rois de Mari mais aussi de textes administratifs et j’avais commencé le travail de rédaction de certaines parties dont celle traitant des effectifs, ce qui m’avait permis de faire un premier bilan sur cette question dans le cadre de la 38ème Rencontre assyriologique internationale qui s’était tenue à Paris en 1991. Cependant, mon travail avançait lentement. Je n’avais pas de financement pour ma thèse et père de trois petits enfants, je partageai mon temps entre la recherche, ma famille et un travail à temps plein auprès d’enfants en difficulté.
Sur la suggestion et avec le soutien de Dominique Charpin et de Jean-Marie Durand, au début de l’année 1993, j’ai postulé et obtenu la Bourse Lavoisier au titre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour un séjour à l’EBAF. Je revenais ainsi à Jérusalem dans le cadre d’un projet de recherche, après avoir entrepris et achevé en juin 1986 un cursus complet en assyriologie (licence et master) à l’Université hébraïque de Jérusalem au sein d’un département qui à l’époque était dédié à cette discipline.
Durant mes années d’études à l’Université hébraïque de Jérusalem, j’avais eu l’occasion de rencontrer en diverses occasions le Père Marcel Sigrist et de travailler ponctuellement à la Bibliothèque Saint-Etienne de l’EBAF. En arrivant sur place en septembre 1993, je n’étais donc pas en terrain inconnu, l’allocation de recherche me permettant, en outre, de consacrer, pour la première fois, la plus grande partie de mon temps à ma thèse. Je disposai ainsi de condition idéale de travail grâce aussi à la très riche bibliothèque de l’EBAF caractérisée par son excellence dans des domaines rarement réunis en un même lieu : l’exégèse biblique, l’archéologie du Proche-Orient mais aussi les ouvrages et revues concernant les langues, la littérature, la religion et l’histoire des peuples du Proche-Orient dont un assyriologue a besoin pour nourrir sa recherche.
Mon objectif durant ce séjour était d’avancer au maximum ma thèse et c’est donc de façon très assidue que j’ai fréquenté la bibliothèque. Progressant sur différents chapitres de mon doctorat, j’ai restitué une partie du travail ainsi finalisé sous la forme d’un mémoire soumis à l’AIBL portant sur la poliorcétique dans les textes de Mari dans lequel j’ai étudié les fortifications des villes avec les comparaisons que permettent les fouilles, les techniques d’encerclement, d’assaut et de défense ainsi que l’armement spécifique et les moyens de terrassement mis en œuvre à cet effet.
Au cours de cette année passée à l’EBAF, j’ai souvent échangé avec le Père Marcel Sigrist notamment sur des questions liées à ma recherche. J’ai ainsi pu bénéficier de ses conseils avisés et je tiens, en cette occasion si particulière, à lui renouveler mes remerciements que je lui adresse aussi pour les séances de lecture que nous avons eues ensemble, de tablettes cunéiformes de la période d’Ur III dont il est le spécialiste internationalement reconnu, séances qui ont été très formatrices pour moi. De même, j’ai aussi pu m’initier à l’enseignement de l’akkadien par le biais de cours informels consacrés à la lecture de documents en lien avec ma thèse qu’il m’avait proposé d’assurer à l’EBAF.
Le seul regret que j’ai par rapport à cette année passée à l’EBAF, est peut-être de ne pas avoir assez profité de la très riche offre de séminaires et de voyages d’études. En effet, souhaitant m’avancer au maximum dans mon travail de thèse, il fallait mettre à profit cette opportunité qui s’ouvrait à moi sachant qu’à mon retour en France, je devais reprendre mes activités professionnelles.
Depuis la soutenance de ma thèse en 1997 sur l’Armée à Mari, j’ai « ajouté des cordes à mon arc » pour utiliser une expression de circonstance en explorant d’autres champs de recherche à partir de la documentation cunéiforme comme l’étude des textiles anciens et des textes du palais de Nuzi, un site proche de l’actuelle ville de Kirkuk.
J’ai aussi développé une activité archéologique en assurant la codirection de la mission franco-israélienne de Tel-Achziv, un site du nord d’Israël, mission soutenue par le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères.
Cependant l’histoire militaire du Proche-Orient ancien, à partir de l’étude des textes cunéiformes de différentes périodes et de lieux, reste un axe de recherche privilégié que je développe à travers mes publications, l’organisation de colloques, la participation au comité scientifique de la revue d’Histoire militaire ancienne ainsi que par mes enseignements.
Ce bref aperçu de mon année à l’EBAF constitue pour moi un témoignage de remerciement à cette institution qui sur proposition de l’AIBL s’est montrée ouverte à un profil de candidat assez peu représenté pour l’allocation de recherche : il me semble en effet que peu de doctorants assyriologues ont postulé afin de bénéficier de ce dispositif. Aussi, lorsque j’ai été contacté par le Père Jean-Jacques Pérennès, pour participer à cette table ronde, en septembre de l’année dernière, j’ai accepté avec un grand plaisir.