De mi-février à mi-mars de cette année, l’École biblique a bénéficié de la présence du Fr. Timothy Radcliffe o.p., ancien maître de l’Ordre des dominicains (1992-2001). Nous lui avons posé quelques questions.
Frère Timothy, vous étiez à l’École pour quelques semaines. Quel était votre programme ?
Je n’avais pas de programme ! Je viens de terminer un nouveau livre, Choisis La Vie, qui va être publié aux editions du Cerf. J’ai eu l’impression d’avoir dit presque tout ce que je voulais dire. Je me sentais heureux mais vidé. Le moment était venu de faire une pause pour que je sache ce que le Seigneur voulait que je fasse ou dise ensuite. Toute vocation, qu’elle soit dominicaine ou laïque, demande de garder l’oreille ouverte pour la prochaine étape de l’aventure, à la suite du Seigneur. Pensez au directeur de l’École, mon vieil ami Jean-Jacques Pérennès ! L’Algérie, de retour en France, Rome avec moi, l’Égypte et maintenant Jérusalem.
J’avais donc besoin d’un temps de silence et de ne pas préparer de conférences ou d’articles, juste pour écouter le Seigneur. Cette écoute se fait de différentes manières : en silence, en étant attentif à ses amis, en lisant “les signes des temps”. Un élément central de la vie d’un dominicain est d’écouter avec une attention renouvelée la Parole de Dieu. C’est pourquoi je suis venu à l’École biblique, afin d’ouvrir à nouveau mes oreilles à la Parole de Dieu. Il était question qu’Anthony Giambrone o.p. guide ma lecture, mais il était malade et aux États-Unis. Malgré cela, il l’a fait de loin avec une grande générosité. J’aurais aimé pouvoir rester plus longtemps !
Aucun dominicain en visite à l’École ne manque de s’attarder dans notre bibliothèque. Avez-vous trouvé ici ce que vous êtes venu chercher ?
Tout d’abord, j’ai beaucoup apprécié l’accueil aimable et généreux du personnel de la bibliothèque, en particulier celui de Pawel. Le grand avantage d’une bibliothèque avec des rayons ouverts est que chaque fois que je cherchais un livre, j’en voyais cinq autres que je souhaitais lire. J’enseignais l’Écriture Sainte à Blackfriars, mais j’ai arrêté en 1988, et j’ai été surpris de voir à quel point la littérature sur le sujet a changée et s’est développée.
Ce voyage à Jérusalem vous a permis aussi de renouer avec une École que vous connaissez bien. Dans le panorama général des études bibliques, comment voyez-vous la mission de l’École aujourd’hui ?
Notre société a largement perdu l’amour de la recherche impartiale de la vérité, de la vérification des hypothèses, de la joie de découvrir que l’on s’est trompé ! Les universitaires ont toujours été infectés par les préjugés et la politique des partis, comme tout le monde, mais nous avons besoin d’un endroit comme l’École où il y a une passion prudente et experte pour la vérité. Apprendre des langues mortes, pratiquer l’archéologie, etc. peut être très ascétique. On peut avoir envie de sortir et de faire du travail pastoral la plupart du temps. Mais, comme Lagrange le savait si bien, la crédibilité de notre prédication de l’Évangile nécessite en fin de compte que certaines personnes se passionnent pour le sens des textes. Sinon, nous serons tentés de les utiliser à nos propres fins, et d’être les maîtres de la Bible au lieu de ses serviteurs obéissants.
La devise de l’Ordre dominicain est VERITAS, la vérité, et l’École incarne une partie de ce que signifie la recherche sans fin de la vérité.
Bien sûr, la compréhension de notre foi implique de nombreuses compétences que personne ne peut maîtriser seul. Nous avons besoin de théologiens dogmatiques, de philosophes, de théologiens moraux, etc. Mais au centre de notre recherche de la compréhension se trouvent des biblistes qui gardent les pieds sur terre, amoureux du texte.
Frère Anthony Giambrone m’a ouvert les yeux sur la façon dont les conflits de la Réforme marquent encore la manière dont nous lisons l’Écriture. Des désaccords vieux de plusieurs siècles sur ce que signifie être justifié par la foi colorent encore notre lecture des Évangiles et plus particulièrement de St Paul. J’espère que l’une des choses que l’École représente est une étude biblique qui nous mène au-delà des désaccords stériles du passé, vers un regard neuf sur les Écritures dans lesquelles nous trouvons la paix et l’unité chrétienne.
J’ai été très impressionné par les progrès réalisés sur La Bible en ses traditions. Lorsque le projet a été lancé, cela semblait être projet tellement énorme que je me suis demandé jusqu’où nous pourrions aller. Et pourtant, c’est en train de se réaliser ! Il est certain que le christianisme va lentement se rendre compte de l’énorme ressource que cela représente pour nous tous ! Lukasz Popko o.p. m’a présenté le travail sur le Livre de Jonas, qui est éblouissant. J’ai été très heureux de voir l’attention portée à l’art ainsi que l’histoire de la reception de Jonas. C’est comme si l’on lisait le texte au sein d’une communauté de savants, d’artistes, de saints, de penseurs, qui s’étend sur plusieurs siècles et sur le monde. C’était merveilleux de voir tant de jeunes laïcs, hommes et femmes, travailler avec nous sur ce projet passionnant.
Ces semaines passées à l’École vous ont aussi permis des moments de rencontre avec la communauté des frères, les chercheurs en séjour et les étudiants. Pouvez-vous dire quelques mots à propos de ces échanges ?
Ce fut un plaisir de pouvoir manger et prier avec la communauté élargie que l’École est devenue. Quelle merveilleuse base pour une communauté chrétienne, de pouvoir prier, étudier et manger ensemble.
Cela correspond tout à fait à la vision de Lagrange, qui pensait que nous apprenions autant sur la Parole de Dieu par la liturgie que par les études universitaires. Et celles-ci se rejoignent souvent autour d’un repas partagé (abondant à l’École) et d’un vin. J’ai été frappé par la joie de la communauté.
Jérusalem reste marquée par les tensions politiques. Quel regard portez-vous sur l’évolution du pays ?
Lagrange voulait que l’École soit en Terre Sainte car comment comprendre la Parole de Dieu si on n’en vient pas à aimer la terre où se sont joués les drames de notre foi ? Mais elle ne m’a pas semblé être une terre aimée et chérie. À Jérusalem et dans les environs, la terre était surchargée de bâtiments, la terre possédée, revendiquée. Et quand on allait dans le désert de Judée, elle était polluée par du plastique. Si seulement la terre était vraiment aimée, peut-être serait-il plus facile pour ses habitants de s’aimer les uns les autres.
Personne n’a pu me donner de signes d’espoir que la paix et la justice s’installent sur cette terre troublée. Mais si l’arbre mort sur le Golgotha a pu porter des fruits le jour de Pâques, alors nous ne pouvons jamais désespérer que l’amour triomphera.