Jésuite belge, le père Maurice Gilbert, s.j. fit ses études à Louvain : après son Troisième-An de spiritualité, il découvre Jérusalem au cours de l’été 1967. Son doctorat achevé, il devient pour quatre ans professeur à l’Université de Louvain, avant d’être nommé à l’Institut Biblique de Rome, poste qu’il occupera jusqu’en 2011. Après six ans de rectorat au Biblique, il passe à Jérusalem en 1984 et commence à enseigner à l’École biblique. Interview :
Professeur à l’École biblique depuis 34 ans, quel chemin vous a mené ici ?
Mes premiers contacts avec l’École biblique datent d’août 1967. Ce réfectoire où nous sommes était la bibliothèque. Il y avait ici la table où travaillait le père Langlamet, qui fumait comme un Turc. Les fichiers étaient là, à l’entrée du réfectoire. Je me rappelle avoir vu le père de Vaux qui arrosait le jardin. Le père Benoit nous a fait visiter l’esplanade des mosquées. Après la guerre des Six-Jours, on entrait partout : dans le dôme du roc, dans ce qu’on appelait à l’époque « les stalles de Salomon », l’actuelle mosquée pour les femmes ; la Porte Dorée était ouverte. La paix était impressionnante.
Puis en 1982, durant mon rectorat au Biblique, de passage à Jérusalem, les Pères de l’École m’ont invités à déjeuner ; à table, se trouvaient les maîtres de l’époque, Benoit, Tournay, Boismard, Murphy O’Connor. Ils étaient très préoccupés, car ils n’avaient plus que sept étudiants. À Rome, nous en avions 350. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je leur ai dit “C’est de votre faute. Vous n’offrez à vos étudiants aucun diplôme reconnu internationalement”. Une proposition fut lancée : obtenir du Saint-Siège que l’École puisse donner le doctorat en sciences bibliques, titre réservé à l’Institut biblique et à la Commission biblique pontificale. L’année suivante, c’était chose faite.
En 84, après mon rectorat à Rome, je suis venu à Jérusalem pour six mois et j’y suis resté huit ans ! L’École m’a de suite invité à donner cours : cela fait 34 ans ! Je n’ai jamais arrêté, sauf entre 93 et 99, mais j’y étais encore membre du Conseil scientifique.
Quelle est votre spécialité d’étude et d’enseignement ?
Quand je suis arrivé à Rome, on m’a demandé de prendre en charge les livres de Sagesse de l’Ancien Testament, c’est-à-dire Job, Proverbes, etc. J’avais déjà publié sur ces textes ; cela m’intéressait, d’autant plus que ces livres de Sagesse étaient peu étudiés jusqu’à la découverte en 1964 à Masada d’un manuscrit de Ben Sira du Ier siècle avant notre ère.
J’ai toujours donné des cours sur les livres de Sagesse. Je changeais chaque année, car on ne reprend jamais un même cours ni à l’École ni à l’Institut. On choisit toujours selon ce que l’on est en train de travailler. Je me souviens d’avoir donné ici un cours d’introduction scientifique au Siracide. Émile Puech y était !
Et pourquoi ce cours de théologie du mariage cette année ?
C’est la première fois que je donne ce cours. À Luxembourg depuis 2011, j’ai préparé des fiancés au mariage. Me rendant compte que ce pouvait être utile, j’ai proposé ce sujet à l’École, et c’est utile manifestement.
Et le corpus sur lequel vous vous fondez, est-ce aussi celui des Livres de la Sagesse ?
Non, c’est l’ensemble de la Bible, parce qu’il est très important de ne pas se cantonner à un seul domaine. Il arrive que des spécialistes du Nouveau Testament ne connaissent pas assez l’Ancien, tandis que les exégètes chrétiens de l’Ancien connaissent aussi le Nouveau.
Quels textes avez-vous choisi pour votre cours ?
Je pars du texte de Matthieu où Jésus se positionne contre le divorce : “ce que Dieu à unit l’homme ne le sépare pas”, et Jésus renvoie à Genèse 1 et 2. Allons donc voir ! Puis le chapitre 3, avec le serpent et la chute : ce chapitre marque des tensions à l’intérieur du couple. Nous avons vu ensuite ce qu’en dit le prophète Osée : il montre que le couple en difficulté reproduit celle qu’Israël vit dans sa relation d’alliance avec le Seigneur. Le Cantique, lui aussi, voit dans l’amour d’un garçon et d’une fille le symbole de l’amour du Seigneur pour son peuple. De même saint Paul dans son épître aux Éphésiens.
Je montre aussi qu’il y a différentes façons de considérer la vie en couple ; la grande bénédiction du mariage, comme, par exemple, dans le Psaume 128, compte trois dimensions : vie heureuse, nombreuse descendance et longue vie. Mais le livre de la Sagesse et l’expérience humaine montrent que la béatitude est promise aux “persécutés pour la justice”, que le Seigneur peut bénir un couple sans enfant ou qu’il accueille le juste dont la vie fut courte : dans l’Église, le nombre de jeunes saints ne cesse de croître. La chasteté est aussi abordée dans ces textes, ainsi qu’en Matthieu 19, ce sur quoi je reviens aussi à la lumière du chapitre 7 de la première épître de saint Paul aux Corinthiens. Voici brossée en grands traits la trame du cours.
Pouvez-vous enfin nous dire quelques mots de votre collaboration au projet de béatification du père Lagrange ?
En 1989, l’évêque de Toulon m’a demandé un dossier théologique sur les écrits du père Lagrange en vue d’une éventuelle béatification : je pense être le seul avec lui à avoir lu tout ce qu’il a écrit, 16000 pages ! J’ai même retrouvé environ 70 articles perdus ici dans la bibliothèque ; personne ne savait que c’était Lagrange qui les avait écrits. Le dossier, remis à Toulon en 91, arriva à Rome vers 98, voici 20 ans. Quand donc l’Église reconnaîtra-t-elle la sainteté du fondateur de l’École ? Espérons !
Propos recueillis par Aziliz Le Roux