Vendredi 20 octobre 2017, face l’imposant jury international et face à l’assemblée de l’École, Nina Sophie Heereman a défendu sa thèse summa cum laude. Le volume, de 974 pages, intitulé “Behold King Solomon on the Day oh His Wedding : A Symbolic-Diachronic Reading of Song 3:6-11 and 4:12–5:1″, sut conquérir l’opinion par sa profondeur, sa largesse, son équilibre et sa nouveauté. Il fut reconnu comme une contribution décisive à ce champs d’étude. Ludger Schwienhorst-Schönberger de l’Université de Vienne, un des deux lecteurs extérieurs et reconnu comme expert du Cantique des Cantiques, dit ainsi : “Cette étude a finalement rassemblé les différences entre interprétations profanes et religieuses du Cantique. L’hypothèse postulant que le Cantique des Cantiques proviendrait à l’origine d’une collection de chansons d’amours exclusivement profanes, sans aucune référence au prophétique ou aux autres textes de l’Écriture Sainte, ne peut vraisemblablement plus être soutenue “.
Dans sa présentation de départ, en 30 minutes, Nina a exposé académiquement le contexte, l’argumentation et les résultats majeurs de sa recherche. Contrairement au consensus moderne de la dite « école naturaliste », et à la différence de certains dissidents récents, elle soutient que le Cantique des Cantiques est un texte théologique dans son sens littéral – pas simplement un chant d’amour séculier, secondairement réinventé (dans “un acte titanesque d’eisegèse”) comme un chant d’amour entre Israël et son Seigneur. La force de cette affirmation ne doit pas occulter la subtilité de l’argumentation, car elle n’entend nullement évacuer les véritables intuitions de l’école naturaliste. Son premier pas est donc une discussion herméneutique soutenue du sensus literalis, apportant le raffinement nécessaire à un débat souvent banal, et optant pour le “symbole” (et non “allégorie” !) comme catégorie la plus adéquate à la poétique polyvalente du texte. S’en suit un compte-rendu diachronique très prudent de la longue histoire textuelle en quatre étapes de la chanson, accordant une attention particulière à plusieurs manuscrits nouvellement étudiés de Qumrân et soulignant le mouvement unifié de la composition à la canonisation. À l’intersection cruciale de ces deux trajectoires que sont le répertoire symbolique du poème et son histoire de réception rédactionnelle soigneusement esquissée, survient la figure très importante de Salomon, c’est-à-dire l’incarnation idéalisée par Israël d’une idéologie impériale ancienne, d’une idéologie à propos de femmes enceintes, en lien avec la littérature lyrique de l’amour antique et les traditions répandues du culte heiros gamos. C’est à travers cette lentille de l’idéologie royale, dans son inflexion israélite et salomonique spécifique, que Nina interprète finalement deux passages centraux et représentatifs du livre, le mariage de Salomon (Chant 3:6-11) et la descente de l’Amant dans le jardin (Chant 4:12 -5:1), démontrant la continuité essentielle de sa lecture symbolique-diachronique avec la théologie de l’interprétation de la tradition juive et chrétienne.
L’échange qui suivit avec les membres du jury fut animée et passionnante en tous points. Les deux codirecteurs, Mark Avila, o.v.m., et Philippe Lefebvre, o.p., ont d’abord pris la parole pour l’interroger tant sur la traduction de prépositions hébraïques que sur des répercussions possibles du Nouveau Testament. Le professeur Gary Anderson, de l’Université de Notre-Dame, a ensuite pris la parole, énergique et pointu. Il nota favorablement l’appropriation des motifs mythologiques (mais avec un soupçon de prudence), puis mit Nina au défi de faire face à un grand nombre de textes et de traditions scripturaires et rabbiniques, en plus de l’anthropologie d’Evans-Pritchard, la théologie de Karl Barth, et les multiples éditions (en hébreu et en allemand) des divers commentaires bibliques de Yair Zakowitch. Le professeur Schwienhorst-Schönberger fut le dernier à intervenir, s’interrogeant sur les potentielles allusions à la chanson dans le texte de Baruch, et prononçant avec calme son jugement sur la qualité superlative de l’œuvre et ses profondes implications théologiques. Il adressa également un mot d’éloge à l’institution unique dans laquelle cette recherche fut menée. “Ce projet n’aurait peut-être été possible qu’à Jérusalem, et plus précisément dans la célèbre École biblique et archéologique française de Jérusalem… Marie-Joseph Lagrange, fondateur de l’École, qui étudia les langues orientales à Vienne, n’aurait pas pu espérer un meilleur résultat, puisque l’École a été fondée en vue de réparer la rupture entre l’exégèse moderne et la théologie ecclésiale. »
Décision fut prise de lui décerner les plus hautes distinctions, et de lui offrir de chaleureuses félicitations. Puis Nina, avec un humour gracieux, lut un mot de remerciement personnel adressé à toutes les personnes qui l’ont soutenue pendant ses années d’études à l’École. Elle enseignera au Biblicum de Rome le semestre prochain en tant que prestigieuse professeure invitée de McCarthy. L’automne suivant, elle déménagera de neuf fuseaux horaires pour commencer à enseigner au Séminaire St. Patrick à San Francisco.