Né en 1951 à Labruguière, petit village occitan, Serge Nègre n’a plus quitté l’accent de son pays. Le teint mat, les yeux marrons foncés, il raconte paisiblement sa vie hors-norme : infirmier, photographe, chargé de radio et des liaisons satellitaires lors d’expéditions polaires, réalisateur, etc. Parmi ces multiples casquettes, Serge Nègre endosse plusieurs mois par an celle de passionné du Moyen-Orient et vient prêter main forte à la photothèque de l’École biblique.
Infirmier et photographe : « profondément humaniste, j’ai soigné les pauvres toute ma vie »
Aîné d’une famille nombreuse, il apprit tôt à vivre de façon autonome. Il devient infirmier, mû par l’idée de servir les plus pauvres, et convaincu de la « nécessité de se tourner vers le monde ». Il découvre les Palestiniens et le Moyen-Orient, partageant cette passion avec sa femme Danielle infirmière elle-aussi, et aidant comme infirmier dans des camps de réfugiés au Sud-Liban. De 1975 à 2002, le couple n’y retournera plus, occupé par une nouvelle aventure : l’adoption de leurs deux enfants indiens. Les enfants devenus grands, Serge Nègre revient pour des séjours de quelques mois une à deux fois par an, pour œuvrer à la photothèque de l’École et retrouver ses amis d’ici rencontrés dans les années 1970.
Serge est également photographe. À huit ans, il transformait le lavabo de la salle de bain de ses parents en laboratoire. Il se souvient de la « magie » de « voir peu à peu l’image se dessiner ». Il crée un musée sur la photographie d’Arthur Batut : ce dernier invente en 1888 la photographie automatique aérienne par cerf-volant et redécouvre le procédé du portrait-type, inventé par Francis Galton. Ce musée trahit un grand désir de comprendre la photographie, sa sémiologie, ses méthodes, ainsi que ses problématiques scientifiques, philosophiques, anthropologiques. « Ce n’est pas l’appareil qui fait la photographie, mais le regard » explique Serge Nègre.
Pour l’infirmier photographe, ses deux métiers ne font qu’un, et répondent au même appel. Il ajoute en plaisantant à peine : « Je pense que pour être un bon photographe, il faut être infirmier. Ce métier apprend un rapport à l’autre profondément humain, une présence et un accompagnement jusque dans sa nudité physique. Il permet d’appréhender l’angoisse que peut provoquer la caméra, qui implique d’une certaine manière de se déshabiller en public ».
Pilier de la photothèque de l’École, amoureux de la région
Son musée, agrémenté d’une galerie pour exposer les œuvres de grands photographes contemporains du monde entier, lui valut d’être convié en 1993 à l’expédition polaire de Jean-Louis Étienne : infirmerie, photographie aérienne par cerf-volant, radio pour assurer liaisons entre satellites et terre, sa souplesse lui permit de reproduire l’expérience environ une fois tous les deux ans, jusqu’en 2002. Il expose aujourd’hui ces photographies, notamment au Centre Culturel français de Jérusalem et à Ramallah, ainsi qu’en beaucoup d’endroits en France.
Si ces expéditions polaires l’ont beaucoup marqué, elles ne répondent pas à sa passion pour l’humanité, qu’il a trouvée auprès des Palestiniens. Sa présence à l’École biblique s’explique ainsi, par son « attachement au pays pour des raisons profondément humaines : c’est une dimension qui manquait dans les expéditions polaires, il n’y a personne, or la terre est la terre des hommes ». Le WE, il s’en va retrouver des amis de longue date en Palestine, qu’il visite fréquemment et avec joie.
Serge découvre véritablement l’École biblique en 2003, et rencontre le Fr. Jean-Michel de Tarragon, o.p., prieur de l’époque, tout juste lancé dans la mise en ordre de sa photothèque. Il a donc participé et participe encore au grand chantier de restauration du vivier que sont les archives des frères dominicains. La photothèque parle à son intérêt pour l’ethnographie, mais aussi pour l’archéologie dès le début de sa vie (création de l’Association d’études et de recherches archéologique et historiques de Labruguière).
Auteur d’un film à paraître sur les chrétiens de Gaza
Ce n’est pas tout, Serge est également réalisateur. « On parle toujours des trains qui déraillent et n’arrivent pas à l’heure, mais les trains qui arrivent à l’heure, personne n’en parle. J’ai donc choisi de parler de Gaza, où l’entente entre chrétiens d’Orient et musulmans ne pose pas de grands problèmes. À Gaza, on compte environ 1300 chrétiens sur environ deux millions d’habitants. Or quatre écoles entre quatre-cent et six-cents élèves sont chrétiennes : ceci excédant largement le nombre total de chrétiens, les élèves sont pour la plupart musulmans à l’école chez les sœurs ! ». Ce film réalisé à partir de multiples vidéos et photographies prises au cours d’intervention sur le territoire en tant qu’infirmier, a permis à l’infirmier photographe des rencontres humaines comme il les aime, et parachève son œuvre humanitaire.