« Du 7 au 11 août », se souvient le professeur Émile Puech bien assis au fond d’un fauteuil. C’est au cours de cette session de cinq jours à la Society of Biblical Literature à Berlin qu’on lui demanda d’intervenir dans un « Fireside chat » d’une heure. Le thème ? Sa vie, ses recherches, son expérience, répondant aux questions du Dr Annette Steudel.
Pêle-mêle de souvenirs
Pourtant grand timide, l’épigraphiste a tout de même affronté une salle comble et bondée pour partager ses découvertes et leurs impacts. « Il y avait beaucoup de curieux » sourit-il. Boursier de l’Académie, le professeur a relaté sa participation aux fouilles de l’ÉBAF, ses découvertes, ses jours et ses nuits passés à restaurer la céramique et surtout à déchiffrer des manuscrits : ces “reliques” d’avant Jésus-Christ passionnent toujours autant l’épigraphiste qui, depuis 47 ans, travaille à l’École biblique. « Je suis actuellement un des plus vieux, étant entré en 1973 dans l’équipe internationale pour prendre le relais de la publication du Lot Starcky ».
Il raconte comment ses intuitions ont souvent été avérées, notamment celles des amphores phéniciennes et de la pourpre : fils de vigneron, il savait bien que les traces violacées sur les parois intérieures du grand bassin ne pouvaient être des marques de vin rouge. Son hypothèse d’un atelier de production de la pourpre aux XIIème – Xème siècles a été confirmée. Cette découverte permet de mettre en relation le site de Tell Keisân dans le territoire de la tribu d’Asher en Galilée avec Tyr, la capitale phénicienne commerçante de la pourpre.
Une patience récompensée
Un point qui lui tient particulièrement à cœur : la patience de l’épigraphiste. « L’étude des manuscrits diffère de celle de restauration de la céramique dont on peut assez facilement évaluer la forme et les parties manquantes : ici, aucune idée de la dimension des manuscrits auxquels appartenaient les fragments ». Cette patience s’avère récompensée, parfois, par des découvertes très significatives qui se nichent souvent dans de menus détails : « En étudiant de tout petits fragments, de temps en temps, on trouve des perles rares qui permettent alors de mieux comprendre des textes inconnus, voire des passages de l’Évangile, qui était Jésus, et dans quel contexte il a vécu, sa langue, son message ».
Émile Puech explique que les copies des textes proprement esséniens ont subi de moindres changements que ceux de la Bible jusqu’à l’époque du Christ, et qu’ils sont une source précieuse pour un regard plus authentique sur les textes de l’Ancien Testament. Les exemples ne manquent pas. Corrélations entre les Béatitudes de Luc et de Matthieu que l’on peut mieux expliquer grâce à une structure similaire retrouvée dans un fragment de manuscrits. L’existence de calendriers différents suivis par les Esséniens et les Pharisiens permet de comprendre les variantes entre les récits des synoptiques et de Jean à propos de la Pâque juive et de la crucifixion du Chris par exemple.
Une réponse scientifique pour une époque scientifique
Ces découvertes sont pour le prêtre des avancées inespérées dans sa compréhension de l’Évangile. Il explique comment ces heures passées à assembler, puis déchiffrer des fragments, souvent minuscules, ont chamboulé sa vie et son rapport aux textes bibliques. Sa grande fierté, c’est de pouvoir grâce à ces manuscrits contribuer à une meilleure approche du Jésus historique : « À notre époque où la science fonde la connaissance, cette cohérence devrait aider à convaincre celui qui est en recherche : cette découverte dans notre monde scientifique est providentielle ». Les manuscrits permettent de répondre à des énigmes que pouvaient poser nombre d’apparentes incohérences dans les récits évangéliques, sur un plan historique. « Désormais, ma foi en Jésus, messie crucifié, fils de Dieu, coule de source ». Quoique le chercheur déplore de n’avoir pas l’éternité devant lui pour continuer de creuser !