Suite du premier épisode ! Les pierres du désert jordanien ont révélé, certes, onze églises des VIème et VIIème siècles mais pas seulement… Découvrez la théorie sur l’histoire du lieu et les raisons pour lesquelles, chaque été, l’équipe de l’École Biblique et Archéologique Française doit retourner sur place.
Ce que « la Ruine sombre » apporte à l’Histoire
Dans une présentation de la première publication liée à Samra [1] , Paul Géhin (chercheur émérite au CNRS) dit du village qu’il « manque de pittoresque et reflète bien la banalité des sites ruraux des marges semi-arides ». Le lieu, c’est vrai, n’attire pas beaucoup l’œil quand on ne fait qu’y passer. Et les nombreuses ruines ensevelies sont difficilement imaginables pour le badaud. Les fouilles révèleront pourtant, en 30 ans, plus qu’on ne pouvait espérer.
La lecture des dédicaces de certaines églises de Samra a permis d’en dater précisément quelques unes. Elles livrent aussi les noms des évêques consécrateurs vérifiés ou replacés dans la succession épiscopale du diocèse antique. Malgré ces inscriptions, la proximité de ces onze édifices religieux les uns à côté des autres (comme dans la Rihab proche ou à Um er-Rasas, près de Madaba), parfois jumelés, reste aujourd’hui inexpliquée. On parvient, grâce aux inscriptions, à comprendre à quel saint ou défunt chaque édifice est consacré mais leur nombre et la proximité entre chacun d’eux, elles, restent problématiques.
L’hypothèse la plus probable serait qu’à partir de l’an 540, tout l’Orient se vit ravagé à répétition par des épidémies de peste et que les familles touchées pourraient avoir construit les églises en commémoration des victimes. « Il s’agirait de chapelles funéraires, non pas pour enterrer les corps, mais seulement pour y prier pour le repos des âmes » explique fr. Jean-Baptiste Humbert. Le système agglutiné d’habitations en « grappes de raisin » s’expliquerait alors dans l’agglomération, par le maintien de la cohésion des clans puis des familles en quartiers. En effet, aujourd’hui encore, dans une famille bédouine, les enfants mariés construisent leur nouvelle maison dans la stricte proximité des parents. Chaque « famille » aurait eu à cœur d’édifier sa chapelle.
De l’âge du fer à l’époque romaine
Khirbet es-Samra a aussi révélé des restes de périodes aussi reculées que le néolithique ou que l’Âge du Bronze ancien. L’essentiel de l’implantation a été romaine, bien marquée par l’importante collection de monnaies dans l’auberge dite Mansio datée des IIème et IIIème siècles, dont la présence s’explique notamment par le passage tout proche de la voie romaine dite Via Nova qui, sous Trajan (depuis 114), reliait la mer Rouge à Palmyre.
Le cimetière de Samra, dont font parties les stèles funéraires observées par le fr. Savignac en 1924, se démarque des cimetières classiques de la même période dans la région. Paul Géhin [2] explique aussi que celui-ci « présente l’originalité d’avoir été divisé en deux parties (une partie pré-chrétienne et l’autre chrétienne), avec l’usage de deux langues, le grec et l’araméen melkite ; pour cette dernière langue qu’on appelle aussi christo-palestinien, le cimetière représente un cas unique ». C’est bien ce qui avait amené Alain Desreumaux, aujourd’hui lui aussi chercheur émérite au CNRS et toujours directeur de la fouille de Samra, à entreprendre son travail de thèse il y a 40 ans, bien avant la découverte des restes byzantins.
Les étés jordaniens depuis la fin des fouilles
Depuis 2009, plus un seul coup de pioche de l’École biblique de Jérusalem n’a heurté la terre de Samra. Les ruines sont protégées du village bédouin voisin, bien ensevelies sous le sable et les pierres. Seuls subsistent les innombrables restes de mobiliers et tessons que notre équipe archéologique revient étudier chaque année entre juillet et septembre, et ce depuis huit ans. L’équipe se compose du fr. Jean-Baptiste Humbert, évidemment, du fr. Jean-Michel de Tarragon, éternel intendant, photographe et chauffeur, et de quelques bénévoles récidivistes parmi lesquels Louis de Lisle et Manon Saenko, spécialisés dans la restauration des poteries. Giacoma Petrullo, post-doctorante italienne spécialisée dans « l’industrie osseuse », s’est jointe à l’équipe pour la première fois cette année.
Chaque année, l’équipe doit compter sur la générosité des familles expatriées françaises d’Amman pour se loger. L’équipe les remercie ici ! Au cours des premières campagnes de fouilles, les bénévoles se souviennent que les conditions n’étaient pas aussi douces… Ils logeaient alors dans le village bédouin de Samra, côtoyant chaque jour les scolopendres et les scorpions, les températures caniculaires et le sable du désert. Depuis qu’il n’est plus nécessaire de fouiller, c’est le fr. Jean-Michel qui fait jouer ses réseaux en amont pour que tout se fasse le plus confortablement possible, mais dans la capitale. Chaque semaine, l’équipe fait un aller-retour au site pour y redéposer le matériel étudié et y récupérer de nouvelles caisses de matériel.
Encore un effort, encore quelques mois…par an
Les ressources de la documentation découverte à Samra semblent parfois inépuisables. Fin août, l’équipe calculait qu’il avait fallut un mois cette année pour trier, dessiner, photographier et répertorier 1000 tessons de poteries. Par chance, il n’y a plus d’autres cartons au village, et la sélection souhaitée depuis cinq ans est parvenue à son terme. D’après le fr. Jean-Baptiste, on peut encore estimer à un ou deux étés le travail nécessaire pour boucler le dossier de la publication de Khirbet es-Samra et, enfin, offrir à la science les deux prochains volumes prévus sur lesquels les équipes planchent depuis 1981. Courage, chercheurs, courage.