Le fr. Dominique-Marie Cabaret est chargé du cours de topographie et d’Histoire du Proche-Orient ancien au sein de l’École biblique, il réalise en parallèle un doctorat en archéologie à l’Université Paris I Sorbonne. Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours et son approche de l’histoire.
Vous êtes ingénieur et docteur en théologie, comment en êtes- vous venu à une thèse en archéologie ?
En laissant faire les choses, si j’ose dire ! Mon goût pour les sciences, l’architecture et l’histoire ne date pas d’aujourd’hui. Par exemple, je me souviens très bien des sites archéologiques de Lyon et Vienne sur le Rhône (théâtre de Fourvière et la ville de Saint-Romain-en-Gal) que j’ai découverts à l’âge de 12 ans, lorsque j’étais petit chanteur. Ce fut un véritable enchantement que de parcourir ces rues romaines encore très bien conservées. Cela m’a donné le goût de l’histoire que j’ai cultivé pendant toute mon enfance jusqu’à maintenant en lisant de nombreux ouvrages surtout consacrés à l’Antiquité et au Moyen-Âge. J’ai eu ma période « roman » ; mais maintenant, lorsqu’il s’agit de me détendre, les livres historiques ont ma préférence.
Mes études d’ingénieur, qui comportent des sections consacrées à la résistance des matériaux et à la production sous toutes ses formes, m’ont aussi donné le goût de la construction. Ce qui m’a valu plus tard, en tant que dominicain trésorier du couvent de Marseille, d’être responsable de la construction d’un nouveau bâtiment de quatre étages en pierres de taille, comprenant salle de conférence, bibliothèque, etc. et permettant l’aménagement d’un cloître. La surveillance de ces travaux pendant plus de quatre ans, au contact des différents corps de métier, dont des tailleurs de pierre spécialisés dans la restauration des monuments historiques, m’a permis d’acquérir une petite compétence en architecture ; ou du moins le goût de l’architecture que je retrouve dans l’archéologie.
Dans cet élan, mon doctorat de théologie (sur les appropriations trinitaires) n’est pas une anormalité mais l’autre face d’une même passion : parvenir à une meilleure connaissance de Dieu, en particulier du Dieu-homme Jésus qui a habité un pays. La théologie n’est pas sans lien avec l’archéologie. Il n’est pas possible d’être théologien sans se plonger sérieusement dans l’histoire de la théologie, ce qui in ne nous fait remonter à l’époque du Christ et à la civilisation qu’il a connue.
C’est d’ailleurs une de mes motivations premières : remonter au Christ au moyen de l’archéologie en connaissant davantage le pays qu’il a habité, la culture dans laquelle il a baigné, les villes qu’il a arpentées, les paysages qu’il a admirés. J’aurais beaucoup de mal à me passionner autant pour l’archéologie s’il me fallait par exemple n’étudier que les huttes gauloises du 1er siècle av. J.-C. Je ne nie pas l’intérêt d’une telle étude. Mais le frère prêcheur, que je suis, ne voit dans l’archéologie qu’un moyen pour nous approcher du Christ, mieux le connaître et donc mieux l’aimer !
Sur quel sujet travaillez-vous pour votre thèse ? Quelle période et quel emplacement géographique exactement ?
Je travaille sur l’urbanisme des quartiers nord de Jérusalem de la période hasmonéenne (2ème av. J.-C.) à la période romaine (2ème siècle ap. J.-C.). À partir des fouilles archéologiques récentes, des sources historiques, en me servant des moyens les plus modernes (notamment cartes et photos satellite), j’essaye de proposer une nouvelle chronologie du développement des quartiers nord de Jérusalem. Il peut sembler étrange qu’il puisse y avoir des choses nouvelles à dire sur un tel sujet qui a été tant étudié depuis plus d’un siècle. Je me suis seulement emparé de ce dossier archéologique avec un regard d’ingénieur, ce qui me permet de proposer une trame urbaine des quartiers qui se sont développés sous les dynasties hasmonéenne et hérodienne, reprise par les Romains lorsqu’ils ont transformé Jérusalem en colonie romaine : Aelia Capitolina.
Pourriez-vous citer quelques unes de vos premières découvertes à propos de la Jérusalem d’Hérode ?
Une première découverte – ou plus exactement une confirmation d’une thèse déjà développée par un ancien élève de l’École biblique, Yves Blomme1 mais passée inaperçue – est que l’arc de l’Ecce Homo situé dans le quartier musulman au-dessus de la via dolorosa, n’est pas un arc de triomphe datant de la période d’Hadrien (2ème siècle ap. J.-C.) mais une porte de la ville voulue par Hérode le Grand ( n du 1er siècle avant J.-C.). Cela peut paraître anodin. En réalité, cela bouleverse la vision qu’on pouvait avoir de la ville : qui dit porte de ville, dit aussi muraille ; qui dit muraille, dit aussi deux quartiers distincts situés de part et d’autre, qui se sont développés à des époques différentes. Ce n’est pas le lieu pour entrer dans le détail de ces questions mais cela bouleverse un certain nombre d’idées reçues.
Une seconde découverte est la structure en patte d’oie des trois rues (et non des deux rues), encore inscrites dans la trame urbaine de l’actuelle vieille ville aux abords de la porte de Damas. Deux des trois rues de la porte de Damas sont bien connues puisqu’elles sont empruntées quotidiennement par des milliers de gens.
Par contre, la troisième, orientée à l’est, passe souvent inaperçue parce qu’elle a été comme oubliée par les architectes de l’empereur Hadrien qui ont embelli la ville au 2ème siècle ap. J.-C., lors de sa transformation en colonie romaine. Si cette rue a été oubliée, c’est qu’elle a été voulue comme telle à l’origine du quartier, qu’il faut sans doute faire remonter à l’époque hasmonéenne. On ne peut détailler cette question davantage ici. Mais, encore une fois, cela ouvre des perspectives.
Vous enseignez la topographie et l’histoire du Proche-Orient ancien à l’École, en quoi ces deux activités se recoupent ?
Ces deux matières vont ensemble car il n’est pas possible de bien connaître ce pays sans connaître son histoire. C’est comme si vous prétendiez avoir fait le tour d’une personne en ne l’ayant rencontré que quelques minutes. En étudiant l’histoire du Proche-Orient, on se trouve inévitablement confronté à ce qui l’a façonné depuis des millénaires, c’est-à-dire sa topographie : ses villes, ses vallées, ses montagnes, ses déserts, etc. En allant sur le terrain, on ne peut faire un pas sans retrouver des structures qui témoignent que cette région du monde qui, sur le plan culturel, fut le berceau de l’humanité, a commencé de se développer longtemps avant que ne survienne la plénitude du temps, l’heure de l’Incarnation.