Mon Dieu, mon Dieu, pour quoi me donnes-tu d’espérer ?

 

Il est courant pour un étudiant en théologique biblique à la Grégorienne d’organiser son travail de sorte qu’il passe un semestre voire deux en Terre Sainte et plus particulièrement à l’Ecole Biblique et Archéologique. Les professeurs de l’université ont conscience de l’intérêt qu’il y a à faire connaissance avec ces lieux de la Révélation et en laissent aisément la faculté.

Il suffit de quelques heures à la bibliothèque pour se rendre compte des grands avantages qu’elle présente, tant pour la facilité d’accès aux livres que pour la qualité et la quantité des ouvrages qu’elle détient.

Les cours de topographie permettent de passer de la page à la poussière des vieilles pierres pour secouer les siècles qui nous séparent des temps bibliques et redonner de l’épaisseur à une réalité qui ne se présente spontanément à nous que de manière fragmentaire.

Mon étude se porta plus particulièrement sur le Psaume 22TM afin de voir ce qu’il peut enseigner en matière d’espérance chrétienne. L’enjeu partait d’une question simple : que nous est-il permis d’espérer en une période identifiée comme un temps de crise ? Le lien entre le psaume et la foi chrétienne nous est avantageusement donné par le Christ Lui-même qui reprend ses premiers mots sur la croix. Le choix du psaume avait aussi été guidé par une réflexion du R.P. Paul Beauchamp, lequel rappelle qu’il n’y a pas de psaume plus proche de la mort que celui-ci. Le psaume 22 nous fait arriver au bord, tout près du point de non-retour. En cela, l’espérance se trouve mise au défi.

Une première étude exégétique m’a conduit à cerner la dynamique rhétorique du psaume, à l’aide des principes de la rhétorique biblique sémitique et ainsi de reconnaître une démarche temporelle en trois parties, allant de la mémoire du passé (vv.1-11) à une vision de l’avenir (vv.23-32) en passant par l’expression du présent (vv.12-22).

Une seconde étude, d’ordre lexicographique, m’a permis de rentrer dans la signification des mots relatifs à l’espérance pour prendre conscience du fait que le vocabulaire est nettement plus proche de celui de la confiance. Celle-ci s’enracine dans des évènements du passé où Dieu est intervenu (l’histoire des pères), où la relation à Dieu était manifeste (le psalmiste enfant confié à Dieu) et qui reviennent à la mémoire du psalmiste. Sur cette confiance éprouvée dans le passé, se fonde une attente exprimée en une prière d’intervention, d’action de Dieu pour sauver, arracher le psalmiste et le placer sur une hauteur, à distance du danger ou encore pour que Dieu s’intercale. Ces images concrètes ne se trouvent pas directement dans le psaume mais le vocabulaire peut y renvoyer.

A cette étude, s’est ajoutée une troisième, davantage portée sur la forme du psaume et sur l’anthropologie théologique qu’elle exprime. Le psaume 22 est classé parmi les lamentations individuelles. L’appellation est trompeuse pour notre époque et particulièrement dans la sphère occidentale qui n’a probablement en tête que les lamentations funèbres. Or, la culture sémitique atteste l’existence de lamentations qui sont une composante essentielle de la relation à Dieu. Dès lors, loin d’exprimer une séparation, elles sont le moyen de réaffirmer la nécessaire relation à Dieu de qui tout bien vient. Elles sont donc en elles-mêmes, un acte d’espérance. A l’opposé, ne pas appeler Dieu, ne pas crier vers Lui serait un acte de désespoir. Rugir, porter la voix au ciel, c’est sous-entendre que l’appel peut être entendu.

Toutefois, cela ne suffit pas à créer de rapprochements avec l’espérance chrétienne. Il faut encore définir la vertu théologale. Pour ce faire, l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin fut utile et me permit ainsi d’opérer une comparaison entre les éléments formels de la vertu d’espérance et de les reconnaître parmi les points saillants du psaume. Saint Thomas en distingue deux : un bien théologal à espérer, difficile à atteindre mais possible, ce qu’est la vie avec Dieu. Le moyen d’obtenir ce bien, qui en fait un bien possible, à savoir Dieu lui-même. Pas sa grâce ; Dieu Lui-même. La confiance biblique n’est pas autre chose que la confiance en Dieu. L’ensemble des textes bibliques de l’Ancien Testament se plaisent à répéter cette vérité à qui veut l’entendre. Un premier point est donc acquis pour parler d’espérance. Quant au bien désiré, il est certain que le psaume ne parle pas de vie éternelle. Il parle à première vue de biens nettement plus immédiats. Cependant, dans cette attente comme dans les horizons ouverts par la louange provoquée par la réponse de Dieu[1], on remarque qu’en définitive, l’enjeu est de vivre en présence de Dieu, rassasié par Dieu. Nous sommes donc à quelques pas de l’expression de la vie éternelle. Le danger revient à être loin de la face de Dieu. En être sauvé, c’est être face à Dieu. On voit donc comment le psaume nous porte à une espérance qui a en germes tout ce qu’il faut pour être cette espérance christologique, c’est-à-dire portée par la Résurrection.

Toutefois, le psaume nous permet d’aller plus loin. La finale peut être comprise comme une sorte d’excès de joie mais elle peut aussi être prise de manière très sérieuse comme approchant une vérité de l’espérance qui nous est précieuse : la possibilité d’espérer pour d’autres, en vertu de la charité, c’est-à-dire d’espérer le bien ultime de l’autre pour l’autre. Plus encore, que cet autre ne se résume pas à une personne mais qu’il embrasse tous les hommes.

L’expérience d’une espérance opérante par l’acte de mémoire et par la description d’une situation tragique conduit le psalmiste à désirer que tous vivent en présence de Dieu. L’expérience de cette espérance le porte enfin à transmettre aux générations à venir, c’est-à-dire à rappeler les merveilles de Dieu. Il s’inscrit ainsi dans la longue chaine qui le relie à ses pères et qui l’a lui-même maintenu dans l’espérance. De la sorte, le psalmiste annonce l’espérance comme une œuvre de Dieu ; il prolonge cette chaine et la jette en avant, dans l’avenir.

Le choix d’un psaume avait été enfin guidé par le fait que c’est la prière à laquelle le prêtre promet de demeurer fidèle, une prière dans laquelle il porte ceux qui lui sont confiés. Cela m’a mené à étudier comment la liturgie faisait l’exégèse de ce psaume. Parmi les différentes occurrences, il faut citer celle de la messe des Rameaux et de la Passion de l’année B. La reprise du psaume – de manière certes parcellaire, quelques morceaux des motifs de moquerie, persécution et louange – n’a pas seulement pour but de présenter une évocation de la crucifixion. En effet, le psaume est intégré dans des lectures, le troisième chant du serviteur souffrant (Is 51), l’hymne aux Philippiens (Ph 2) et la Passion selon Saint Marc, qui, liées au formulaire de messe, forment un réseau thématique qui concentre son attention sur la sequela Christi. Dans cette perspective, foi et obéissance sont requises. Néanmoins, la liturgie ne s’arrête pas seulement sur les moyens. Elle en montre la voie et le terme. La voie est celle de la croix du Christ. Le terme est celui de la confession de la Seigneurie du Christ dans une louange qui rassemble les créatures, particulièrement les hommes, qui constituent la famille de Dieu.

 

Que nous est-il permis d’espérer ? La vie éternelle. Toutefois, cette vertu, expérimentée comme un don de Dieu enraciné dans une histoire qui nous précède et se prolonge avec nous, porte à l’annonce de Dieu et de son oeuvre. Prendre conscience de notre espérance signifie puiser dans les richesses que Dieu nous donne un moyen pour transmettre au monde cette espérance, élargir notre cœur aux dimensions de la charité du Christ pour porter ce monde à la louange de son Nom.

Stanislas Delcampe, Diocèse de Rouen, France.

 

[1] Que Dieu ait répondu ou que le psalmiste ait acquis la certitude de cette réponse.