Le P. Marc Girard, prêtre du diocèse de Chicoutimi au Canada, est professeur invité à l’École biblique et chercheur associé pour le programme de recherche La Bible en Ses Traditions. Docteur en théologie et exégète, il s’est particulièrement intéressé aux symboles dans l’Ancien et le Nouveau Testament, il nous explique son approche.
Symboles bibliques : langage universel
L’ouvrage sur le symbolisme a pour titre Symboles bibliques : langage universel. Pour une théologie des deux Testaments ancrée dans les sciences humaines (2 vol. chez Médiaspaul, 2016). L’idée est novatrice : « Sauf erreur, je pense être le seul à avoir tenté une théologie consistante des deux Testaments, qui en montre la cohérence profonde au niveau des archétypes, ce que permet idéalement le symbolisme. » Notre professeur invité a d’ailleurs fait sienne une espèce de devise, de leitmotiv : « La raison parfois divise, le symbole unifie ». Par-delà les différences d’écritures, d’époques, de cultures, si on s’aide des sciences humaines (psychologie des profondeurs, anthropologie, histoire des religions), on croit pouvoir remonter jusqu’à une sorte de patrimoine universel où toute l’humanité puise. Carl Gustav Jung nous a habitués à parler d’« archétypes ». Prenons deux exemples. Entre le feu du buisson ardent et celui de la Pentecôte, on peut faire ressortir une cohérence profonde qui plonge ses racines dans l’inconscient collectif. Par ailleurs, bien avant d’être pour Jésus le cruel instrument de supplice qu’on connaît, la croix était un symbole déjà bien présent dans diverses cultures : elle plonge ses racines dans un fond universel. Même chez les chrétiens elle se prête à des nuances symboliques variables : chez les Latins, par exemple, le centre de la croix (centrum mundi) se situe au niveau de la bouche du Crucifié alors qu’il se trouve au niveau du cœur chez les Grecs, ce qui pourrait trahir dans la mentalité des uns et des autres, respectivement, une insistance sur la parole et sur la contemplation. « En tant que prêtre diocésain œuvrant dans un milieu en voie de déchristianisation, j’ai commencé cette recherche dans une optique de nouvelle évangélisation : c’est devenu de plus en plus urgent de mettre en lumière des passerelles entre les différentes religions et cultures. Lors de conférences en Côte d’Ivoire, par exemple, je me suis plu à montrer que certains mythes traditionnels africains rejoignaient par les symboles des éléments du judaïsme et du christianisme. La Bible, par-delà sa (ses) culture(s) d’origine, s’adresse à l’humanité entière”.
Évangile selon Jean
L’autre ouvrage, à peine sorti des presses, a une histoire qui remonte à plus de quarante ans. En 1975, le jeune Père Marc Girard passe deux mois à Jérusalem. Il y fait la rencontre de deux Dominicains : le fr. Raymond Tournay, op, qui l’a fortement encouragé à approfondir les structures psalmiques même si lui ne pratiquait pas ce genre de méthode, et le fr. Claude Boismard, op. Déjà le Père Albert Vanhoye, sj., devenu cardinal par après, l’avait initié à une approche structurelle rigoureuse à partir de la lettre aux Hébreux : Girard a cherché à l’appliquer au psautier (Les Psaumes redécouverts, 3 vol., Bellarmin, 1994-96). Quant au fr. Boismard, en quelques lignes dans un de ses livres, il avait proposé l’hypothèse d’un lien entre la structure de Gn 1,1-2,4a et l’évangile de Jean. Pendant des années Girard a développé et tenté de démontrer rigoureusement l’intuition, devenue le cadre de base de son livre Évangile selon Jean. Structures et symboles, vol. I (Médiaspaul, 2017).
« J’ai réalisé que tout l’Évangile de Jean était effectivement rédigé comme une sorte de midrash* du premier récit de la création, l’événement Jésus Christ portant à son point de perfection la création première. » Les sept jours se transforment en sept semaines à travers lesquelles les même thèmes se succèdent, dans le même ordre et parfois avec le même type de répétitions textuelles : par exemple, le symbole de la lumière en Gn 1,3-5 repris en Jn 1, le symbole de l’eau en Gn 1,6-9 repris en Jn 2-4 ; le jour du repos, mentionné trois fois en Gn 2,1-4a (« septième jour ») et trois fois en Jn 20 (« premier jour… »). À un autre point de vue, en appliquant systématiquement la critique structurelle à tous les textes de l’évangile, Marc Girard avoue qu’il pensait se heurter à la résistance de certaines péricopes, mais il a été agréablement surpris de constater que la méthode ne cessait de se confirmer au fur et à mesure de ses analyses. Même s’il respecte grandement les adeptes de la méthode historico-critique, il choisit plutôt un angle d’abordage différent, complémentaire, qui considère le texte dans son état final, « le seul, ajoute-t-il, qui ne soit pas hypothétique », pourvu, bien sûr, que la critique textuelle l’ait déterminé avec solidité.
Ajoutons que depuis plusieurs années le P. Girard travaille assidûment au commentaire des Psaumes pour le programme Bible en Ses Traditions et vient en outre de publier la première moitié d’un commentaire du quatrième évangile.