Du 2 juillet au 1er septembre, l’équipe archéologique de l’École biblique était en séjour à Amman. De cet arrière-poste improvisé, les Frères continuent, chaque été, de trier, dessiner et répertorier le matériel trouvé sur le site de Samra, une fouille achevée en 2009 et dont la préparation d’une deuxième et d’une troisième publications est en cours. Récit d’un chantier qui aura traversé les décennies.
En 1924, les frères Antonin Jaussen op. et Raphaël Savignac op. délaissent leur habituelle caravane d’exploration et traversent pour la première fois les somptueux déserts de Jordanie en voiture pour un voyage dit « épigraphique ». Au nord du pays, près de la frontière syrienne, l’histoire raconte que le fr. Savignac aurait fait arrêter la voiture à la vue d’inscriptions gravées sur des pierres, gisant à même le sol. Les frères explorateurs s’arrêtent et identifient rapidement une puis plusieurs stèles funéraires rédigées en syriaque palestinien (christo-palestinien). Un bédouin de la région en dira « C’est de l’arabe que je ne peux pas lire ». Fr. Savignac en publiera l’analyse dans la Revue biblique de 1925. Les « fouilles » s’arrêtent là pour l’époque, à la surface du sol…
53 ans plus tard, en 1977, Alain Desreumaux, boursier de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et étudiant à l’École, découvre l’article de 22 pages intitulé Excursion en Transjordanie et au Khirbet es-Samrâ (« la Ruine Sombre » en arabe). C’est à partir de cette trouvaille qu’il orientera son sujet de thèse et retournera sur place, en 1978. Avec le fr. Jean-Baptiste Humbert op., ils présenteront leurs recherches deux ans plus tard à Oxford, à l’occasion d’une conférence des Studies in the History and Archaeology of Jordan (SHAJ). On est alors en mars 1980. Compte tenu de la qualité de la présentation, le Service des Antiquités jordaniennes confie à l’École biblique la responsabilité de la fouille du lieu. Au cours de l’été 1980, le fr. Jean-Baptiste Humbert, chargé de l’archéologie de l’École, clôt les travaux de Tell Keisan en Galilée, et se prépare pour son premier chantier jordanien.
Quatre sondages plus que fructueux
Juillet 1981, les fouilles commencent. On ne connaît alors de Samra que le cimetière repéré par le fr. Savignac et non-loin, les restes d’un fort romain. Les premières heures sont prometteuses : avant de creuser on réalise au cœur de la ruine quatre sondages, quatre carrés de 2 mètres sur 2 mètres éloignés les uns des autres ; les quatre sondages révèlent quatre pavements de mosaïque qui s’avèreront être quatre sols d’églises ! Le projet est lancé, les fouilles s’étaleront sur 28 ans, ralenties et entrecoupées par d’autres chantiers (Mafraq, Amman, Gaza, etc.) et quelques campagnes « en chambre », sans fouilles.
Au cours des huit premières campagnes qui s’enchaînent jusqu’en 1988, on découvre à l’entrée du village de Samra une grande maison romaine dite Mansio, les restes d’une route romaine pavée, un grand bassin romain et une forteresse du IVe siècle, huit églises byzantines datées du VIIe siècle. Les mosaïques nous racontent que la plus ancienne d’entre elles est posée en 610 ap. J.-C. et la plus récente en 649. Il s’agit dans la région de la période de la lente mutation vers l’Islam avant la désertion du lieu, au cours du IXème siècle. Alors que les archéologues de l’équipe, menés par Alain Desreumaux et le fr. Jean-Baptiste Humbert, sont venus chercher les traces d’une communauté christo-palestinienne, ils s’orienteront vite vers un thème plus précis : « Christianisation et déchristianisation de la région ».
Interruptions involontaires
De 1986 à 2002, le fr. Humbert interrompt les fouilles du lieu pour se consacrer à d’autres projets : le palais omeyyade de Mafraq, la Citadelle d’Amman où il découvre un palais néo-assyrien en 1989, puis la restauration du rouleau de cuivre de Qumrân en 1993, confié à la France, et enfin les fouilles de Gaza depuis 1995.
Les fouilles de Samra ne reprennent finalement qu’en 2002 et jusqu’à 2009, quatre campagnes au cours desquelles on découvre trois nouvelles églises ! « On continuerait de fouiller, on continuerait d’en trouver ! » assure aujourd’hui le frère dominicain. Au fur et à mesure des années, ont donc été dévoilées onze églises dont huit à trois nefs et huit pavées de mosaïques, ainsi que du mobilier précieux : un petit autel romain, plus de 300 morceaux de chancels [1], calcaire bitumineux lustré, des chapiteaux en calcaire peints en rouge et des fragments de colonnes de marbre.
Les fouilles ont révélé la vie d’un village byzantin « banal » avec les restes de vases de cuisson, de conservation ou de transport d’aliments, d’huile et de vin, etc. On a dénombré à Samra près de 800 000 tessons dont seuls 3 000 ont été sélectionnés et 2 000 seront publiés. Ce sont notamment ces milliers de morceaux de poterie qui expliquent la lenteur de l’étude au fil des ans.
Le premier volume sur les fouilles a été publié en 1998 sous le titre Fouilles de Khirbet Es-Samrâ en Jordanie, t. 1. La voie romaine, le cimetière, les documents épigraphiques. (Jean-Baptiste Humbert et Alain Desreumaux — Paris Baron Fr. du Fourstraat 8 : Brepols, 1998. — xv+674 p. : 517 figures broché ; 32 x 23 cm. — (Bibliothèque de l’antiquité tardive ; 1).