Mathieu Beaud est chercheur associé au programme Bible en ses Traditions. Docteur en histoire de l’art, il travaille sur la réception des thèmes bibliques dans l’iconographie. Quelques jours après Pâques, il nous propose une courte étude du thème de l’Agneau.
L’agneau est un motif chrétien primordial comme l’est la Croix, le poisson et la barque qu’il côtoie sur les décors les plus anciens : les peintures des catacombes (dès le IIe s.) et les premiers artefacts préconstantiniens. Thème profondément sacrificiel et nourricier, commun au champ scripturaire judéo-chrétien, il plonge ses racines dans le substrat d’une culture agraire méditerranéenne. Pour les premiers chrétiens, il s’agit d’abord d’un emblème, comme la Croix, qui se porte gravé sur les intailles, les camées, les médailles et autres amulettes moins comme un symbole d’appartenance que comme un signe de protection. Rapidement la forme animale stylisée synthétise puissamment la foi chrétienne dans sa valeur la plus élémentaire : le sacrifice lustral et la résurrection.
Sa présence est récurrente dans l’art funéraire, associée à un répertoire visuel pastoral : le pedum (houlette) et la mulctra, récipient pour le lait caillé qui fut aux premiers temps chrétiens une espèce eucharistique. Il investit le motif antique du Berger criophore (porteur de bélier) pour former le thème du « Bon pasteur » (Lc 15,3-7 ; Jn 10,11-16) dans la catacombe Sainte-Priscille de Rome (IIIe s.) ou dans le mausolée de Galla Placidia à Ravenne. Cependant, l’agneau est majoritairement exploité pour sa dimension sacrificielle. Il est l’Agnus Dei (qui tollis peccata mundi, Jn 1, 29) qui s’offre à la supplication dans un contexte funéraire (décors d’hypogées, sarcophages, épigraphies dédicatoires) car il véhicule la promesse de la résurrection. L’animal est souvent entouré de loups ou plie une patte pour accepter l’holocauste. Les sens eucharistiques et christologiques se précisent : une longue croix hastée ou le gonfanon crucifère remplacent la houlette pastorale pour former ce qui est couramment appelé l’Agneau pascal. D’autres symboles christologiques se greffent à l’animal tels que le nimbe crucifère, les christogrammes, l’Alpha et l’Omega qui le projettent dans un contexte apocalyptique.
La Croix est bien sûr le pendant de l’Agneau : les deux signes fusionnent bien souvent, et l’animal inscrit dans un médaillon à la croisée de la haste et des bras d’une croix latine sert à figurer le Christ en croix jusqu’au concile in Trullo (réuni en 553, 680- 681) qui décida de favoriser la figuration humaine du Christ.
L’Agnus Dei est aussi l’emblème de Jean le Baptiste qui le désigne du doigt (Jn 1, 29). Il devient un signe christologique glorieux, atemporel, à la fois sotériologique et eschatologique : monté sur le mont Sion, personni cation de la source de vie, il surplombe les fleuves du Paradis auxquels s’abreuvent cerfs et brebis (Ap 14,1 ; 21,6). Dans la miniature impériale médiévale, l’agneau illumine la Jérusalem céleste nouvellement révélée (Ap 21, 6), et s’associe au Livre des sept sceaux (Ap 6,1) ou arbore sept cornes et sept yeux (Ap 5, 6). Le simple motif de l’agneau est donc un symbole christologique au sens le plus profond : il existe sur tous les champs scripturaires, symbolise le Christ dans toutes ses manifestations et se rapportant aussi bien au Christ caput ecclesiae qu’aux fidèles, membres de cette Église. L’agneau symbole du Christ est donc surtout un symbole ecclésiologique.
Mathieu Beaud